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des pommes de terre et de l’avoine, enfin parfois la quatrième année encore de l’avoine, et, après cette série de produits épuisans, six ou sept ans de prairie naturelle formée des plantes qui couvrent spontanément le sol. Quoique l’avoine ne serve pas, ainsi qu’en Écosse, de nourriture à l’homme, on voit qu’elle est, comme dans ce dernier pays, le produit principal, parce que, céréale du printemps, elle n’a point à courir les chances souvent funestes d’un hiver trop rigoureux. Le seigle, qui annonce ici la région schisteuse, sert à faire le pain noir que consomment les populations rurales. Le froment et l’épeautre ne sont cultivés que par exception[1].

Certainement ces procédés de culture réclament de grandes améliorations ; néanmoins il faut avouer que la rigueur du climat y apporte de sérieux obstacles. Ainsi l’on a vu plus d’une fois les pommes de terre geler durant les mois de mai et de juin, au moins sur les terres humides ou qui penchent vers le nord. Les gelées blanches des nuits d’été nuisent également au foin et s’opposeraient au développement du sarrasin, qu’il serait si utile d’introduire ici. Il n’est pas jusqu’à la fructification des céréales qui ne souffre du froid. C’est ainsi qu’en visitant cette contrée en 1860 j’y trouvai les récoltes de seigle et d’avoine ensevelies sous la neige. Le premier soin à prendre serait ici, comme dans le Condroz, d’accorder dans les assolemens plus de place aux fourrages, afin de mieux nourrir le bétail et de faire plus de fumier. Les animaux, obligés de chercher presque constamment leur nourriture sur de pauvres pâturages, donnent peu de viande et presque point de lait ni de beurre ; en outre la majeure partie de l’engrais se perd. Le cultivateur accumule dans l’étable, sous forme de litière, une grande quantité de matières végétales, des feuilles mortes, des fougères, du genêt surtout, qui croît en abondance sur les collines et dont on vante beaucoup en Ardenne l’action fertilisante ; mais de bonnes récoltes de racines ou de légumineuses telles que trèfle blanc, lupuline, sainfoin, intercalées entre les récoltes successives d’avoine et de seigle, donneraient un tout autre élan à la production agricole, plus faible même ici que dans le Condroz. La densité de la population tombe à un habitant par trois hectares, c’est-à-dire qu’elle est inférieure à la proportion qu’on rencontre en Écosse et dans la Sologne. Les chefs-lieux des cantons et même celui de la province forment à peine des bourgs de quatre ou cinq mille âmes.

  1. Pour qu’on puisse juger de l’économie rurale de l’Ardenne, il ne sera pas inutile d’indiquer l’étendue consacrée à chaque espèce de produit dans un arrondissement purement ordonnais, celui de Bastogne. Sur 89,991 hectares, les terres vagues en occupent 42,254, les terrains essartés 2,647, les bois 19,409, les prairies 10,051, les jachères 5,288, l’avoine 3,946, le seigle 2,668, les pommes de terre 2,061. Le froment et l’épeautre ne figurent que pour 11 hectares.