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Cependant la position de Parker et des abolitionistes était devenue difficile. Ils n’étaient plus sur le terrain légal, et le respect de la légalité est grand chez Les Anglo-Saxons. La loi des esclaves fugitifs était une loi infâme, mais une loi. Or Parker avait déclaré qu’il la foulait aux pieds au nom de l’Amérique, au nom du Christ et au nom de Dieu. En même temps l’homme politique le plus éminent du nord, Daniel Webster, qui briguait les honneurs de la présidence et voulait se concilier les voix du sud, déployait toutes les ressources de son talent pour persuader au nord qu’il fallait « décourager l’agitation abolitioniste » et se résigner à la loi des esclaves fugitifs. Ses argumens revenaient en résumé à ceci, qu’après tout c’était la loi, que s’il était pénible aux hommes du nord de l’observer, il n’y avait pas de mérite à n’accomplir que des devoirs agréables, qu’il serait beau de vaincre ses préjugés et de maintenir ainsi les lois et l’union en remplissant ses obligations constitutionnelles. « La loi de Dieu, disait-il, n’ordonne jamais de désobéir aux lois humaines. » Daniel Webster reçut la récompense qu’il méritait dans cette foudroyante réplique qui circula d’un bout à l’autre des États-Unis avec la rapidité d’un éclair. Parker cite plusieurs cas mentionnés dans la Bible, où la loi du pays et la conscience se sont trouvées en formel désaccord. Il demande ironiquement si c’était un devoir pour Daniel d’obéir au roi Darius qui avait défendu de prier le vrai Dieu, pour les apôtres de ne plus prêcher l’Évangile à cause de la défense du sanhédrin, pour les parens de Moïse de jeter leurs enfans dans le Nil afin d’obéir au décret du roi Pharaon.


« Cependant, ajoute-t-il, j’avise encore un autre cas, également rapporté dans la Bible, et dans lequel la loi ordonnait une chose et la conscience précisément le contraire. Voici le texte de la loi, article unique : « Le souverain sacrificateur et les pharisiens ordonnent que si quelqu’un sait où se trouve un certain Jésus de Nazareth, il ait à le leur faire savoir pour qu’on puisse l’arrêter. » Dès lors ce fut la tâche officielle, le devoir légal de tous disciples sachant où était le Christ, de donner l’information réclamée aux autorités du pays. Parmi eux, il y avait des âmes faibles, un Jacques, un Jean, qui avaient tout quitté pour le suivre, et d’autres gens de rien qui ignoraient la loi et furent excommuniés. Il y avait aussi des femmes comme Marthe et Marie, bonnes âmes qui aidèrent l’accusé de leur petit avoir, qui lavèrent ses pieds avec leurs larmes et les essuyèrent avec leurs cheveux. Elles firent tout cela joyeusement ; c’était leur volonté et leur plaisir, il n’y a donc pas grand mérite à cela. « Chacun de nous remplit aisément des devoirs agréables, n Mais il se trouva un disciple assez fort pour « accomplir un devoir désagréable : » il alla dénoncer son sauveur au marshal du district de Jérusalem, qui s’appelait alors un centurion. N’avait-il donc aucune affection pour Jésus ? Certainement il en avait ; mais il sut « vaincre ses préjugés, » tandis que ce Jean, cette Marie, furent trop lâches pour cela.