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Malheureusement, quelque vigilant qu’il fût, le comité ne pouvait tout prévoir. Un parti riche et influent de Boston, se couvrant du respect dû à la loi et surtout ayant à cœur de bien mériter de ses amis de New-York et de Charleston, faisait tous ses efforts pour le mettre en défaut. Dans la même année 1851, un pauvre ouvrier tailleur dut à la couleur de sa peau d’être kidnappé un soir dans les rues de Boston. Les passans qui voulurent intervenir en furent détournés par l’assurance que leur donna la police qu’on l’arrêtait sous inculpation de vol. Une fois traduit devant le juge fédéral, il était condamné d’avance. La population indignée voulait se ruer sur la prison, mais le parti de l’esclavage avait pris ses mesures : une force armée imposante gardait les abords de la prison, et de peur d’un terrible conflit les directeurs du mouvement abolitioniste conseillèrent au peuple de s’abstenir. En vain le pauvre nègre demanda aux églises de Boston qu’on se souvînt de lui dans les prières du dimanche précédant son départ : la coterie commerciale, qui avait la haute main dans les consistoires, ferma la bouche aux ministres officians, dans la crainte d’une nouvelle émotion populaire. Parker désobéit encore. Il alla trouver le prisonnier au milieu de ses geôliers et de ses kidnappers, lui prodigua ses consolations et l’accompagna jusqu’au navire qui devait l’emporter. Personne n’osa l’en empêcher, personne n’osa l’insulter ; mais le dimanche d’après, devant une énorme affluence, il vengea la conscience publique par le plus éloquent peut-être de ses discours, un discours qui est tout à la fois un sermon, un pamphlet, un réquisitoire, une philippique, et qu’il faudrait traduire en entier pour en donner une idée fidèle, car, échappant à toutes les règles, il brave toutes les définitions.


« De la dure maison de servitude, s’écriait Parker, un homme s’est réfugié au sein du peuple du Massachusetts. On n’avait d’autre crime à lui reprocher que l’amour de la liberté. Il vint à nous comme un étranger qui compte sur l’hospitalité sacrée : Boston le prit et le jeta illégalement en prison. Il avait faim : Boston lui donna à manger la ration de ses criminels. Il avait soif : Boston lui donna à boire le fiel et le vinaigre des esclaves. Il était nu : Boston le couvrit de chaînes. Malade et en prison, il demandait un consolateur : Boston lui envoya un marshal et un commissaire, Boston l’a mis entre des voleurs d’hommes, rebut de l’humanité, et le leur a livré en disant : « Voici votre esclave ! » Pauvre, enchaîné, voyant le gouvernement de la nation contre lui, il demanda des prières à nos églises : nos églises mercantiles lui ont répondu par des imprécations. Il nous demandait, au nom de notre Dieu, le sacrement de la liberté : au nom de leur trinité, la trinité d’argent, au nom de leur dieu de métal, elles l’ont baptisé esclave. Boston servait de marraine. L’église mercantile de la Nouvelle-Angleterre lui a dit : « Ton nom est Esclave ; je te baptise au nom de l’aigle d’or, du dollar d’argent et du centime de cuivre ! »