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l’Union, d’hommes qu’il a quelquefois combattus, Quincy Adams, Zacharie Taylor, Daniel Webster. Un pareil genre de discours religieux est inconnu et, disons tout, serait impossible en Europe. Qu’on se figure un prédicateur de Londres ou de Paris montant en chaire le lendemain de la mort d’un homme d’état, s’emparant de toute sa carrière politique et la critiquant d’un bout à l’autre au nom de la morale chrétienne, avec autant de sévérité pour les écarts que de soin minutieux à en faire ressortir les bons côtés. C’est pourtant ce que Parker a fait à Boston. Il suffit de lire son discours sur Adams et celui dont la vie et les vastes talens de Daniel Webster lui ont fourni le sujet pour reconnaître qu’il est impossible de pousser plus loin la hardiesse et l’impartialité des jugemens. Cependant Parker ne comptait pas s’en tenir uniquement à cette incessante production, provoquée par les incidens ou les besoins du jour et de l’heure. Il préparait les matériaux de deux grands ouvrages, dont l’un devait contenir une biographie critique des hommes célèbres de l’Amérique, tandis que le second, de beaucoup le plus intéressant pour nous et celui qui exigeait le plus de recherches de tout genre, eût été consacré aux Origines des religions chez les races dominantes de l’humanité. C’était à publier ce dernier ouvrage que Parker tenait par-dessus tout. Il espérait en faire le monument et comme le résultat définitif de ses études et de ses expériences. Il avait même déclaré qu’à partir de sa cinquantième année il renoncerait à la prédication hebdomadaire pour se vouer entièrement à cette œuvre capitale. Il ne lui fut pas donné de réaliser son espérance.

Ce n’est pas impunément qu’un homme concentre et dépense une pareille abondance de vie dans les conditions de l’existence terrestre. Théodore Parker se faisait illusion sur ses forces physiques. Aux conseils que ses amis lui prodiguaient pour qu’il ménageât sa santé, il opposait d’abord la nécessité de travailler sans relâche aux œuvres qui réclamaient tous ses instans, puis les six générations de robustes agriculteurs dont il descendait. Cependant une précoce décrépitude s’était annoncée. Il avait quarante-huit ans en 1858, on lui en eût donné plus de soixante. Il négligea les premiers avertissemens de sa nature épuisée, et continua de prêcher chaque dimanche, de travailler, de voyager, de lecturer toute la semaine. Le dimanche 7 janvier 1859, presque au moment de monter en chaire, il fut atteint d’une hémorragie pulmonaire de très mauvais augure. Il fallut lui imposer un congé d’un an, que, sur le conseil des médecins, il alla passer à Santa-Cruz, l’une des Antilles danoises. Les premiers effets de ce repos sous le ciel et près de la mer des tropiques parurent très favorables. Les forces étaient revenues comme par enchantement. Sa conversation était de nouveau vive, enjouée,