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d’Amérique et d’Europe, trop disposés à interpréter les lois de la nature dans un sens exclusivement favorable à l’orgueil humain, gagneraient-ils à méditer sérieusement cette fine parodie. Le même album contient un médaillon représentant en profil les traits de Théodore Parker. Son grand front dégarni, sa barbe, qu’il porte entière, blanche avant l’âge, des traits expressifs, creusés, dénotant un singulier mélange d’ironie et de bienveillance, toute sa physionomie enfin répond exactement à, ce que sa vie fait déjà prévoir. Dans un dernier retour de ses forces physiques, il voulut abattre à coups de hache quelques sapins destinés à la scierie. Il revenait ainsi à une des occupations de son adolescence. Le plus beau des sapins, qu’il abattit avec une adresse qui émerveilla les assistans, n’était sain qu’à la base : le cœur était malade. C’était un triste présage.

On lui conseillait d’aller passer l’hiver à Madère ou en Égypte. Une sorte d’entraînement, dont lui-même ne se rendait pas bien compte, fit qu’il se dirigea sur Rome, dont il voulait consulter les bibliothèques en vue des ouvrages qu’il préparait, et d’où il espérait repartir pour visiter, en compagnie de M. Desor, les pays volcaniques du sud de la péninsule italienne ; mais le mauvais temps et surtout les tracasseries sans nombre de la police pontificale ne firent que redoubler son malaise. Impatient de quitter la ville qu’il avait tant désiré voir et d’aller mourir en terre libre, Parker se fit transporter en Toscane, et nous tenons d’un témoin oculaire de ce suprême voyage que, réveillé, sur sa demande expresse, de l’assoupissement où il était plongé au moment où il franchissait la frontière, il laissa reposer un long, regard humide sur le premier poteau tricolore qu’il découvrit au bord de la route. Ce salut suprême de Parker mourant aux nouvelles couleurs italiennes rappelle la bénédiction que le baron de Bunsen adressait de son lit de mort à « l’Italie et à sa liberté. » Avoir reçu à son baptême les vœux de deux hommes tels que Parker et le vénérable auteur des Signes des Temps, cela n’est-il pas d’un heureux augure pour la nation qui renaît en ce moment, après tant d’épreuves, à une vie nouvelle ? La compagne de sa vie, à qui il avait dû le repos et la joie de son foyer, avait voulu le suivre. Ce fut elle, assistée de quelques amis, qui lui ferma les yeux à Florence, où il expira après plusieurs jours d’une lente agonie. Son seul regret, en quittant ce monde, était de n’avoir pu faire tout ce dont il.se sentait capable. « Vous savez, disait-il à ses amis, que je n’ai pas peur de la mort ; pourtant j’aurais encore voulu vivre pour achever plus d’un ouvrage que j’espérais publier : j’avais reçu de puissantes facultés, je ne les ai employées qu’à demi. » Pendant les derniers jours, il eut des heures de délire dans lesquelles il se