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croyait dédoublé. Il voyait un Parker mourant à Florence et un autre plein de vie à Boston qui continuait son œuvre. Par ses dispositions testamentaires, il légua à la ville de Boston sa bibliothèque, de trente mille volumes. Il désira que sur sa tombe une voix amie lût les béatitudes par lesquelles le Christ ouvre son discours de la montagne, et qu’on lui érigeât une simple pierre grise avec son nom pour toute épitaphe. Enfin il s’éteignit lentement et doucement dans le ferme espoir de cette vie mystérieuse dont il avait tant de fois décrit les pressentimens révélateurs. Oh peut dire de sa vie ce qu’il disait de ses livres d’enfance : il n’a pas vécu beaucoup d’années, mais dans le peu qui lui en a été accordé, comme il a vécu ! et de quelle belle et féconde vie !

Boston porte encore son deuil. La nombreuse communauté qu’il fortifiait de ses enseignemens n’a pu jusqu’à ce jour se décider à lui nommer un successeur. Il est douteux qu’elle en trouve un. Toutefois elle a résolu de poursuivre l’œuvre de son pasteur. Son vaste local s’ouvre chaque dimanche à des amis de Parker qui viennent parler dans le même esprit des grandes questions religieuses et sociales de l’heure présente. Parmi eux, on remarque quelques-uns des hommes les plus éminens de l’Union, MM. Garrison, Wendell Philipps, Emerson. L’influence morale de Parker lui survit, et s’exerce avec une puissance que les événemens actuels n’ont fait qu’accroître.


IV

Il nous reste, pour compléter cette étude, à dire quelques mots de la doctrine religieuse de Parker. Nous en avons déjà indiqué quelques traits essentiels. Ayant vu toutes les infaillibilités qui s’imposent à l’homme, l’église, la Bible, la tradition, se dissoudre l’une après l’autre sous le feu de la critique, mais doué d’une âme passionnée pour l’idéal, il s’était replié sur lui-même, persuadé que sa nature spirituelle, travaillée de besoins religieux, constituait précisément ce tuf primitif qu’il avait en vain cherché partout ailleurs, et par conséquent l’indestructible base d’une religion supérieure à la région des tempêtes. Il constatait dans l’homme une triple intuition née avec lui, lors même que dans l’individu et dans la race elle ne se dégagé que peu à peu, après un certain développement, — celle du divin, celle du juste et celle de l’immortalité. Ajoutons sur-le-champ qu’il échappait d’emblée à l’accusation de subjectivisme arbitraire par le point de vue vraiment philosophique sous lequel il envisageait l’histoire. C’est l’histoire elle-même, et non pas seulement la pensée individuelle de tel penseur, qui lui révélait le contenu