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encore, que j’ai été le prédécesseur de Tallien ? » Ses fonctions le mirent en relation fréquente avec Bailly et même avec Lafayette. Il se lia intimement avec le maire ; il vécut beaucoup dans son intérieur : il dînait chez lui tous les dimanches. Jamais il ne parla de Bailly avec indifférence. En 1827, dans son discours de réception à l’Académie française, où il succédait à Laplace, et citant les savans illustres qui avaient été de grands écrivains, il nomma Buffon, puis Bailly, et il ajouta : « Quel nom douloureux je prononce ! » Plus tard il disait : « Les larmes me sont venues aux yeux quand j’ai nommé M. Bailly. Je sais bien qu’il n’est pas un grand écrivain, mais j’ai été heureux de pouvoir, après trente-cinq ans, rendre cet hommage à sa mémoire. Ce nom me rappelle toutes les plus grandes et les meilleures émotions de ma vie. » Les personnes qui l’ont approché savent avec quelle insistance les souvenirs des premiers temps de la révolution obsédaient sa pensée, avec quel entraînement il était sans cesse ramené à ces scènes d’impérissable mémoire, où le bien et le mal se sont livré des combats de géant, et qui ont révélé à l’humanité sur elle-même des choses qu’elle ne savait pas.

Le 10 août porta aux fonctions de secrétaires de la commune Billaud-Varennes et Tallien. Leur prédécesseur quitta l’Hôtel-de-Ville, mais ne déserta pas la lutte. Rentré dans sa section, dite alors de la Fraternité, il ne cessa pas d’y combattre ouvertement les jacobins avec énergie, avec succès. Il avait quelques-unes des qualités qui rendent populaire : la vivacité, la force et le courage. Les porteurs d’eau de l’île Saint-Louis l’avaient adopté, ils l’entouraient, le portaient sur leurs bras, le reconduisaient jusqu’à sa maison. C’est dans ce temps qu’il alla trouver au ministère de la justice Danton, son compatriote, qui l’avait connu jeune et lui témoignait de la bienveillance. Il s’agissait de sauver un détenu. Le 2 septembre était dans l’air et comme sous-entendu dans leur entretien. Danton fit ce qu’il demandait, puis lui offrit sa protection. « Venez avec nous, dit-il, il faut hurler avec les loups. — Cela n’est permis qu’aux loups. — Mais vous serez dévoré. — Eh bien ! je serai dévoré. — Mais vous parlez comme un enfant… C’est égal, en cas d’alarme venez à moi ; je ferai pour vous ce que je pourrai. »

Sous Pétion, Royer-Collard était fayettiste. Après le 2 septembre, il fallait fuir ou se faire girondin. Jusqu’au 31 mai, il lutta pour la Gironde et employa pour la soutenir toute la popularité qu’il avait dans son quartier. C’est ainsi qu’il réussit à mener, quelques jours avant la crise, à la barre de la convention les députations de vingt et une sections qui offraient à l’assemblée de la soutenir contre la montagne. Son discours est au Moniteur. On l’y reconnaît à son