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les courses de taureaux sont surtout goûtées ; c’est là que la foule montre la joie la plus ardente, lorsque ses yeux boivent le sang dont l’arène est couverte, lorsque des chevaux dérobés à l’abattoir y traînent leurs entrailles fumantes. Un tel spectacle, qui aurait fait sourire de pitié les bestiaires d’un amphithéâtre romain, et qui fait rougir aujourd’hui les Espagnols éclairés, accuse plus hautement que je ne prétends le dire des tendances brutales et un reste de férocité, Par ce côté, Herrera se fait reconnaître comme Andalous.

Zurbaran, fils d’un laboureur de l’Estramadure, vécut à Séville, et y fut le meilleur disciple de Juan de Las Roelas ; mais il n’apprit de lui que la pratique du métier, et s’éloigna aussitôt des traditions italiennes pour se faire réaliste, à l’exemple de la plupart des peintres de la Péninsule. Ses abbés, ses chartreux, ses moines innombrables, montrent comment il copiait la nature, un froc toujours posé sur son mannequin. Toutefois Las Roelas ne lui avait point inspiré en vain le respect de la correction et d’une ordonnance sage. Sa célèbre Apothéose de saint Thomas d’Aquin, qui est au musée de Séville, les quatre tableaux qu’on a vus à Paris, et qui ont été rachetés par M. le duc de Montpensier, en sont la preuve. Zurbaran, homme d’effort, de volonté, de labeur, comme s’il tenait toujours la charrue, traduit cependant une poésie austère qui appartient à tout le moyen âge, mais qui resta plus longtemps le privilège de l’Espagne. Zurbaran était pieux autant que Luis de Vargas, qui se flagellait et couchait dans son cercueil. Les œuvres de Zurbaran sont des pages d’une ferveur rude et naïve, où se révèlent la vie monastique, la gravité sombre des cloîtres, leur sécheresse plutôt que leur mélancolie, la dureté de l’ascétisme plutôt que l’onction de la foi. Murillo, qui sera aussi un peintre religieux, représentera un aspect nouveau du catholicisme et les formes attrayantes que lui a données l’ordre d’Ignazio de Loyola. Ainsi Herrera et Zurbaran, les seules physionomies originales parmi les aînés de Murillo, loin de moissonner le champ qu’il doit parcourir, le lui laissent intact. Ils ont été inspirés par des tendances opposées qui sont déjà le souvenir d’un autre âge, tandis que Murillo est le représentant de la société moderne, de ce que j’appellerais la jeune Andalousie.

Bartolome Esteban Murillo naquit à Séville en 1618. Il montra de bonne heure un goût très vif pour le dessin. Son père, qui était pauvre, le plaça chez Juan del Castillo, leur parent. Un tel maître n’aurait pu lui enseigner que le coloris sec et l’art ingrat qu’il tenait lui-même de Luis Fernandez ; mais un jour Castillo alla se fixer à Cadix., et Murillo demeura abandonné à ses seules ressources. Obligé de vivre de son pinceau avant d’avoir appris à s’en servir, le jeune homme imita la plupart de ses contemporains ; il se fit