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Bamboche. Il releva la tête et montra aux dernières clartés du jour la touffe de poils blancs qui, comme un croissant de neige, se détachait sur l’ébène de son front. Comme un géant blessé, le roi des pinèdes semblait attendre la mort. Le sang et la sueur ruisselaient sur ses flancs ; couverts d’une épaisse écume, ses naseaux se soulevaient sous un souffle inégal. Plein de rage, il se tordait sur les roseaux en les teintant de gouttelettes de pourpre ou de flocons blanchâtres. Tournant un œil sanglant vers Manidette, il se mit à mugir avec force. La jeune saunière aperçut bien vite sur sa croupe les banderillas, qui, enlevées d’ordinaire après la course, ne font aux taureaux qu’une piqûre légère, mais qui, restées cette fois dans les chairs, les avaient labourées cruellement. Elle hésitait à s’approcher de l’animal irrité ; mais celui-ci s’accroupit et fixa sur elle un regard tranquille. Manidette se décida dès lors à avancer vers le colosse. Elle fit timidement quelques pas et se hasarda à mettre la main sur son échine hérissée. Le Sangard ne bougea pas, et, encouragée par son attitude, elle essaya, en le flattant de la main, d’enlever doucement les banderillas » C’était une opération difficile, mais ses mains délicates en vinrent à bout. À diverses reprises, la jeune saunière imbiba son mouchoir avec l’eau fraîche de son picou, et lava les blessures du Sangard, qu’elle pansa avec des herbages ; puis elle déchira son tablier et en fit des bandes pour assujettir le pansement. La fraîcheur et le suc onctueux que renfermaient les compresses aromatiques calmèrent les douleurs du palusin. Cependant la soirée menaçait d’être humide, une nuée de moucherons bourdonnait dans les airs, et Manidette craignit que ses soins ne fussent perdus, si le Sangard passait la nuit à la belle étoile. Avec quelques caresses données à l’animal guéri par ses soins, elle réussit à se faire suivre du taureau jusqu’à l’étable du Maset, où il entra sans difficulté.

Lorsqu’elle se remit en marche, Manidette crut apercevoir une ombre humaine s’allonger sur le sable. Effrayée, elle se mit à courir vers le Sansouïre. Assise devant la porte de la masure, toute la famille attendait son retour avec impatience. Alabert, qui était allé à sa rencontre, revint au rode en même temps que la jeune fille y arrivait tout essoufflée. Après avoir expliqué, non sans hésitation, la cause de son retour à une heure si tardive, en disant qu’elle s’était égarée dans les landes, Manidette parla longuement de la belle messe des Saintes-Maries, de l’affluence des pèlerins, et termina en annonçant la course de taureaux qui devait avoir lieu à Aigues-Mortes le dimanche suivant ; mais elle ne fit aucune allusion à son vœu, ni à Bamboche, ni au Sangard.

— Te voilà quasiment mariée, ma fille, lui dit Fennète à voix basse en lui donnant le baiser du soir ; les saintes béniront le choix