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compte six peintres et six architectes. Il est curieux de voir, dans les pièces du temps, combien Colbert et ses prédécesseurs rencontrèrent d’obstacles pour introduire en France les procédés de fabrication des manufactures célèbres de Venise, de Florence, de Bruxelles et d’Orient. Cette opposition venait autant des magistrats que des habitans, et il fallut la volonté puissante du ministre pour empêcher le renvoi des ouvriers qu’on avait fait venir à grands frais de ces contrées dans l’unique pensée de développer l’industrie nationale. Toutefois, il faut en convenir, Colbert, né dans l’industrie, avait un sentiment de l’ordre réellement exagéré. Son esprit, tourné à l’exactitude mathématique, lui faisait tout ramener à l’unité. C’est ainsi que dans ses édits sur l’industrie il fixait jusqu’au nombre de fils dont un tissu devait se composer. C’était sans contredit pousser à l’absurde la manie réglementaire, et l’on peut dire, sans crainte d’être injuste, que de cette époque date la mortelle uniformité qui, entrée bientôt dans les académies et les instituts, eut une si malheureuse influence sur l’éducation de la jeunesse et les concours d’art, et détruisit, particulièrement dans l’architecture, ce sentiment du beau pittoresque dans les ensembles, ce charme de l’imprévu qui naît de la variété, et sans lequel l’art est impossible.

La manie d’uniformité dans les méthodes, en exigeant chaque jour une régularité plus grande de fabrication, a détruit ce libre arbitre qui donnait à l’œuvre son cachet d’individualité. Dès lors l’intelligence de l’ouvrier a disparu sous une méthode technologique invariable. Comme il arrive trop souvent dans les civilisations factices, on a voulu faire passer un art dans le domaine d’un autre. C’est ce qui est arrivé pour les étoffes. À partir du XVIIe siècle, on oublia complètement le tissu pour faire de la peinture sérieuse. Une école de dessin d’après le modèle vivant et d’après l’antique fut fondée aux Gobelins. Au lieu de s’en tenir à la fabrication d’une étoile solide, destinée soit à être tendue, soit à être flottante, au lieu de calculer la couleur et l’ornementation pour le style et la proportion des appartemens, on ne songea plus qu’à faire des tours de force. Les artistes dont les cartons servaient de modèle aux ouvriers, trop préoccupés de leur œuvre, trouvèrent naturellement que la copie ne ressemblait pas à l’original, que l’imitation n’en était pas assez rigoureuse, que la gamme des tons donnée par la palette des laines et des soies était trop bornée, enfin que les tapissiers n’étaient pas assez peintres pour comprendre le modelé, pour rendre ce trompe-l’œil, cette imitation souvent forcée de la nature qui est le résultat de la peinture à l’huile poussée à sa dernière puissance. Pour produire cette énergie des reliefs, cet éclat des lumières, on poussa toutes les couleurs au noir, et c’est ainsi qu’on obtint ces tapisseries détestables n’offrant plus qu’un ton sale, des couleurs souillées,