Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tous les honneurs de la guerre ; l’auteur, avant de les désarmer, a été obligé de déployer toutes ses forces, et remontant jusqu’aux origines premières de leur doctrine, suivant d’âge en âge la fortune de leurs idées, c’est le panthéisme lui-même, de Parménide à Spinoza et d’Héraclite à Hegel, qu’il renverse de fond en comble par sa triomphante analyse.

Adversaire déclaré du panthéisme et résolu à le poursuivre jusqu’en ses derniers retranchemens, M. Saisset n’est pas de ceux que la peur de l’ennemi entraîne à des erreurs d’une autre nature. Ce n’est pas tout de repousser le panthéisme, il faut le juger dans ses détails ; si, craignant toute ressemblance avec vos adversaires, vous rejetez les vérités qu’ils ont découvertes, vos bonnes intentions vous seront un piége. Ce piége n’existe pas pour l’auteur de l’Essai de philosophie religieuse ; la netteté de ses principes le met à l’abri du péril. Un des chapitres les plus hardis et les plus beaux du livre de M. Saisset, c’est celui où l’antagoniste victorieux du panthéisme essaie de prouver un principe, proclamé aussi par les panthéistes, mais dont il nous donnera une explication tout opposée, je veux dire l’infinité du monde. Dans une série de méditations très habilement enchaînées, il a traité toutes les questions qui sont le fondement de la théodicée : y a-t-il un Dieu ? Dieu est-il accessible à la raison ? peut-il y avoir autre chose que Dieu ? Et après avoir triomphé de toutes les difficultés, parvenu par les seules voies de la science jusqu’au Dieu créateur, il rencontre ce problème qui semble renouveler ses angoisses : le monde est-il éternel et infini ?

Chose étrange, de quelque côté qu’on se tourne en agitant cette question, le panthéisme est là. Il y a des penseurs qui n’osent croire à l’infinité du monde, craignant de confondre le monde et Dieu, la création et le créateur ; n’est-ce pas un panthéiste en effet, n’est-ce pas l’ardent Jordano Bruno qui, le premier parmi les modernes, a proclamé avec enthousiasme une création éternelle et infinie ? Mais quoi ! si j’admets l’opinion contraire, si je dis qu’à un certain moment Dieu, sorti de son repos, est devenu créateur, ce Dieu qui devient ne ressemble-t-il pas au Dieu de Hegel ? Serai-je donc obligé de soutenir avec le philosophe de Berlin qu’il y a des accidens successifs dans la vie de Dieu ? Soumettrai-je l’être immuable à la condition du temps ? Déjà, il y a quatorze siècles, saint Augustin était en proie à d’étranges perplexités quand il se posait cette objection si grave : « comment Dieu a-t-il toujours été seigneur, c’est-à-dire comment Dieu a-t-il toujours été adoré, s’il n’a pas toujours eu des créatures ? » Ces perplexités sont plus terribles encore pour le spiritualiste de nos jours, se heurtant, quelque parti qu’il prenne, au panthéisme de Bruno ou au panthéisme de Hegel. Il faut les péné-