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depuis en temple protestant), élevant le capital à 30 millions, et chargeant le nouvel établissement de plusieurs services publics. Pour appeler le capital, sur lequel on ne comptait guère de l’aveu de M. Mollien, le gouvernement prit pour 5 millions d’actions au nom de la caisse d’amortissement. Cependant, malgré la clientèle du pouvoir, les affaires ne prenaient pas le développement qu’on avait espéré ; la concurrence des autres banques était d’autant plus importune que, se retranchant dans leur humble rôle, elles se dérobaient au périlleux honneur d’escompter le papier de l’état. C’était aux yeux du pouvoir une sorte de félonie, et puis la réaction en matière de commerce comme en beaucoup d’autres choses, les idées d’unité et de monopole, étaient à l’ordre du jour. Il sembla aussi naturel aux grands capitalistes que légitime au pouvoir de monopoliser le crédit, sur lequel d’ailleurs on n’avait chez nous que de vagues notions.

On hésitait à supprimer brutalement la caisse du petit commerce, mais on se flattait de la prendre en faute. On se présenta un jour au guichet de la caisse d’escompte avec une liasse de billets payables à vue et en espèces ; il y en avait pour 3 millions, somme écrasante à cette époque ; au grand ébahissement des porteurs, les billets furent payés. Avertis par le péril auquel ils venaient d’échapper, les associés firent en secret de nouveaux appels de fonds et se tinrent sur leurs gardes. On revint en effet avec une somme de billets au porteur plus forte encore, et l’argent fut compté à bureau ouvert. Toutefois la solidité des établissemens libres ne pouvait plus les sauver ; trop de gens étaient intéressés à soutenir ou à croire que l’unité en matière de banque est une nécessité de salut public. Un décret du 24 germinal an XI (14 avril 1803) ordonna aux comptoirs particuliers qui émettaient des billets au porteur de retirer ceux qu’ils avaient en circulation et de s’abstenir d’en lancer à l’avenir. Par le même acte, le droit exclusif d’émettre des billets de cette nature devint la base du privilège de la Banque de France. Le petit commerce se sentit blessé et réclama ; nous avons à cet égard le témoignage d’un contemporain, auteur très accrédité en matière commerciale, et qui plus tard, en qualité de conseiller d’état, fut spécialement chargé d’étudier les statuts des banques nouvelles. « La caisse qui roulait sur le crédit marchand, dit Émile Vincens dans sa Législation commerciale, représentait vainement qu’elle avait un but spécial, que ses membres ne seraient pas assez connus des banquiers pour obtenir d’eux l’escompte, et que ceux-ci absorberaient tous les moyens de banque : il fallut subir la réunion. »

Ainsi ont été étouffés les essais instinctifs du crédit libre, et ceci se passait, remarquons-le bien, au moment où Pitt poussait dans