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son pays à la multiplication des banques, où il en faisait surgir jusqu’à sept cents ! Ce seul fait, en cas de guerre prolongée, allait faire tourner toutes les chances contre la France ; mais combien y avait-il d’hommes à cette époque capables de mesurer l’influence du crédit sur la production, et le rapport des forces productives d’un peuple avec sa vigueur politique et sa solidité militaire ? À part quelques-uns de ceux qu’on appelait alors des idéologues, la France de 1802, devenue fort ignorante en matière d’économie politique, n’était plus apte à discerner en quoi la réglementation qui supprime la liberté est contraire aux vrais principes de l’ordre. Comme contraste avec les années tumultueuses qu’on venait de traverser, le public applaudissait à toutes les tentatives de classement, de coordination apparente. La monopolisation du crédit au profit de la Banque de France avait affriandé les spéculateurs ; c’était à qui imaginerait une exploitation privilégiée. Suivant M. Vincens, « on proposait sans cesse au gouvernement de tout vendre, de tout mettre en monopole, jusqu’au roulage, jusqu’à la vente au dedans des denrées coloniales et au dehors de tous les produits de nos manufactures… » Peu s’en est fallu qu’on ne rétablît les jurandes et les maîtrises ; on recueillit des signatures à cet effet dans plusieurs métiers de Paris. Cette tendance ne déplaisait pas au premier consul, qui aurait voulu voir partout de beaux et solides régimens bien disciplinés. « Toujours sous prétexte d’ordre public, dit encore Vincens, on demanda aux individus des communautés les plus nombreuses de se faire inscrire ; on leur assigna des assemblées ou du moins des conseils de syndics sous le nom de délégués. On les engagea à dresser des statuts et des règlemens dont quelques-uns furent homologués en silence. » Heureusement pour notre pays que les corporations industrielles produisirent leurs fruits ordinaires avant même d’être développées ; on se disputa pour la limitation des travaux et la spécialité des produits : « les épiciers voulaient vendre l’indigo, le sucre, le café, sans renoncer au droit de vendre l’eau-de-vie[1], » et ainsi des autres. Le ridicule ou le scandale de ces contestations permit aux hommes sensés de réagir contre l’entraînement du jour. Un bon mémoire de Vital Roux, un des rédacteurs du code de commerce, fit sensation et mérite d’être rappelé. Toutefois, si on ne retomba pas en plein dans l’ancien régime par le rétablissement des jurandes et des maîtrises, on resta en prévention contre la liberté commerciale et sous l’influence de l’esprit réglementaire et restrictif. La tendance instinctive et persistante pendant tout l’empire fut de constituer en exploitations privilégiées,

  1. Vincens, Législation commerciale, t. Ier, p. 241.