Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empereur de donner une haute importance à l’industrie cotonnière : c’était encore une manière de lutter contre la perfide Albion. Ne comprenant pas plus la résistance de la nature que celle des hommes, il entreprit de naturaliser en France la culture du coton : en vertu des instructions ministérielles envoyées aux préfets à la date du 27 mars 1807, une prime de 1 franc fut promise par kilogramme de coton nettoyé. Il y eut des agriculteurs qui se laissèrent prendre à cette amorce, et des plantations, furent faites dès la première année dans treize de nos départemens méridionaux. De ces essais on n’a plus entendu parler, et c’est fort heureux : autrement on n’aurait pas manqué de faire des lois pour protéger le coton national contre celui des pays chauds.

On voit sous quelle influence s’est développé chez nous le genre de fabrication qui a fourni le type d’après lequel s’est renouvelée la grande industrie manufacturière. Il y eut dans les premières années du siècle une veine de prospérité inouïe pour les filatures de coton, doublement protégées par le pouvoir, qui les affranchissait de la concurrence extérieure, et par l’engouement du public, qui ne marchandait pas leurs produits. Vers 1805, suivant M. Benjamin Delessert, on comptait déjà une cinquantaine de manufactures réputées grandes pour le temps et deux cents petites ; il était admis qu’on y devait gagner 30 pour 100. La mode, qui joue un si grand rôle dans le placement des capitaux, les poussa vers ce genre d’opérations. Beaucoup d’installations nouvelles surgirent. Les mécaniciens ne suffisaient pas aux commandes. « C’est un adage reçu entre les filateurs, dit M. Beugnot dans le document déjà cité, qu’il y a des fortunes à faire dans leur état d’ici à dix ans, après quoi une filature sera une manufacture comme une autre. — Mais, ajoute assez naïvement le préfet de Rouen, pourquoi dès à présent serait-elle plus qu’une autre ? » Le pressentiment de quelque crise devait exister en effet chez les hommes expérimentés de la profession. Les fabriques nouvelles n’auraient pas été trop nombreuses, si elles avaient été montées en vue d’une consommation permanente et avec le projet rationnel de primer les autres tissus par le bon marché. On se serait alors appliqué, comme en Angleterre, à bien choisir la situation des établissemens, à perfectionner l’outillage et surtout les moteurs, à réduire les frais de transport, à élargir incessamment le débouché par l’abaissement des prix. Malheureusement les manufactures s’improvisaient chez nous sous l’illusion de ces prix de fantaisie qui devaient donner 30 pour 100. Avec une telle marge, avec l’exploitation exclusive du marché intérieur, il semblait tout naturel de se laisser vivre, en se préservant de la fièvre des améliorations. On ne tarda point à s’apercevoir que le travail des filés, base de la vaste indus-