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aussitôt aux moyens de le faire revenir. « Tout le temps que ce système de circulation fut suivi, a dit un des plus habiles ministres du temps, l’argent pouvait manquer souvent partout, excepté sur les grandes routes. »

Mollien raconte que, s’étant placé sur le passage de Napoléon au moment de son départ pour la grande armée, le 25 septembre 1805, l’empereur lui jeta ces mots en courant : « Les finances vont mal, la Banque éprouve des embarras ; ce n’est pas ici que je puis y mettre ordre. » Pour le mal, quel qu’il fût, il ne connaissait que le remède héroïque, la victoire. La Banque avait été réduite à limiter ses paiemens à 500,000 francs par jour : cela seul aurait suffi pour jeter la panique parmi les porteurs de billets. Les bureaux de remboursement étaient assaillis. Ceux qui ne pouvaient pas parvenir jusqu’aux guichets s’estimaient heureux de réaliser leurs billets chez les changeurs avec 10 ou 12 pour 100 de perte. Malgré la précaution prise par Fouché de faire distribuer dans les douze mairies de Paris des numéros d’ordre pour le remboursement des billets, les longues files de postulans qui rayonnaient dans les rues adjacentes présentaient par instant le caractère des attroupemens séditieux. Au conseil des ministres en permanence au Luxembourg sous la présidence du prince Joseph, l’anxiété était des plus vives. On était résolu, c’est encore Mollien qui nous l’apprend, à fermer les guichets de remboursement, sauf à faire distribuer quelque monnaie dans les mairies, à défendre au tribunal de commerce de statuer sur les contestations occasionnées par l’offre ou le refus des billets de banque, à dissiper au besoin par la force armée tous ces rassemblemens de créanciers criards.

Pendant ce temps, l’empereur faisait de la banque à sa manière, en tirant sur les Autrichiens et les Russes… à boulets rouges. Dans la soirée du 12 décembre, le canon retentit à Paris ; on suspend des drapeaux, des guirlandes de laurier à la façade des édifices publics et des théâtres ; les rues s’illuminent, des rassemblemens se forment, et cette fois c’est pour lire le bulletin de la grande armée. — Bataille et victoire à Austerlitz ! — Il s’agit bien pour les Parisiens de billets au porteur, d’encaisse et d’escompte ! Combien d’ennemis couchés à terre ou engloutis vivans dans l’étang glacé ? Combien d’Autrichiens amenés sans armes devant le vainqueur ? Qui s’est distingué et a reçu la croix ? Qui est devenu capitaine ou sergent ? Qui demain partira conscrit ? Voilà ce qu’il faut savoir avant tout, voilà ce qui fait bouillir votre sang, ô vieille race gauloise, ô Gaulois toujours jeunes !

Ces héroïques journées sont dans la vie des peuples comme ces extases qui épuisent : c’est par la continuité d’un bon régime qu’on