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de quelques-uns de ses produits : c’est sa puissance productive, c’est l’ensemble et l’harmonie de ses moyens pour augmenter ses forces. Bien qu’il y eût beaucoup de gens satisfaits dans le monde commercial, du moins jusqu’en 1810, la France était débilitée par les vices de son régime économique ; déjà, malgré sa fière attitude, elle n’avait plus assez de vigueur pour supporter des revers. Le système continental, après avoir renouvelé la guerre en soulevant tous les autres peuples contre nous, nous laissait à l’intérieur avec une industrie gonflée un instant, puis refoulée sur elle-même et désorientée par les plus étranges combinaisons. La somme qu’il aurait fallu pour réparer les pertes de la marine militaire pendant quinze ans et le matériel de terre perdu dans les campagnes de 1812 et de 1813 ne dépasse pas celle qu’un simple banquier de nos jours trouverait pour une ligne de chemin de fer. J’en parle d’après des états dressés sous la restauration, et qui ne sont pas suspects de flatterie : cette somme d’environ 250 millions, il eût été impossible de l’obtenir par un crédit normal. Dès que la victoire eut abandonné nos drapeaux et qu’il ne fut plus possible de compter sur la rançon des vaincus comme élément de recette, il y eut nécessité absolue de recourir aux surtaxes d’impôts, aux anticipations, aux ventes de domaines, expédiens qui sèment l’irritation et la défiance. Au commencement de 1814, la Banque avait dû prêter au gouvernement plus de 88 millions sur son capital, qui était de 90, et le portefeuille des effets de commerce se réduisait à presque rien… Mais il ne faut pas trop insister sur ces souvenirs pénibles ; il suffit de dire que, si Napoléon est tombé sur un champ de bataille, ce n’est pas là qu’il a été vaincu. Si l’on cherche à recueillir ses impressions, après avoir parcouru l’émouvante période qui comprend la révolution et l’empire, on reconnaît que l’assemblée constituante eut seule une doctrine en matière d’économie, celle de Turgot, et que par malheur le régime de liberté inauguré par elle eut à peine un commencement d’expérimentation. De 1792 à 1814 au contraire, le souffle de la science se fait à peine sentir. Le mouvement économique, déterminé par les nécessités de la politique ou de la guerre, est faussé par toute sorte d’expédiens. On est retombé sous le joug des vieux instincts ; on revient, sans y prendre garde, à une discipline industrielle opposée le plus souvent à l’esprit de 1789. L’étude de cette période n’en est pas moins très importante, parce que les pouvoirs successifs y ont semé à pleines mains les germes de monopoles qui ont été si habilement cultivés plus tard, ainsi que nous le verrons bientôt, et parce qu’on en a conservé cette fatale habitude de subordonner l’activité productrice à l’initiative de l’état.