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sont unis. Celui qui voudrait usurper ne pourrait être également accrédité dans tous les états confédérés. S’il se rendait trop puissant dans l’un, il alarmerait tous les autres ; s’il subjuguait une partie, celle qui serait libre encore pourrait lui résister avec des forces indépendantes de celles qu’il aurait usurpées, et l’accabler avant qu’il eût achevé de s’établir. S’il arrive quelque sédition chez un de ses membres, les autres peuvent l’apaiser. Si quelques abus s’introduisent quelque part, ils sont corrigés par les parties saines. Cet état peut périr d’un côté sans périr de l’autre ; la confédération peut être dissoute, et les confédérés rester souverains. »

On ne peut exprimer avec plus de force la nécessité où se trouvent les divers membres de la confédération de faire abandon d’une partie de la souveraineté en faveur d’un pouvoir central, le droit qu’a ce pouvoir d’apaiser les rébellions, de réprimer les abus et les usurpations des confédérés. Montesquieu admet, il est vrai, la possibilité d’une dissolution ; mais si l’on pénètre bien le sens de ses formules concises, il l’envisage comme un accident, comme le résultat du dépérissement d’une partie du corps social. Pour qu’elle pût être provoquée par la volonté de l’un des confédérés, il faudrait que celui-ci revendiquât l’intégrité de sa souveraineté, et cette souveraineté, suivant Montesquieu, ne lui fait retour qu’après la dissolution même de l’union. Mais sortons de la politique théorique. La constitution américaine est trop récente, les traditions de la politique américaine ont traversé trop peu de générations pour que le sens en soit oblitéré. Quand les représentans des diverses colonies anglaises, devenues autant d’états indépendans, scellèrent leur union et adoptèrent une constitution commune, prétendaient-ils ne contracter qu’une alliance politique momentanée, ou fonder une république durable ? Comptaient-ils avec le temps, ou voulaient-ils transmettre leur œuvre aux générations les plus éloignées ? Réservaient-ils le principe de la souveraineté des états particuliers, ou demandaient-ils à tous les états le sacrifice éternel de la portion de souveraineté nécessaire au pouvoir fédéral ? Quiconque est familier avec l’histoire de la révolution américaine peut, ce semble, répondre sans hésitation à ces demandes. Les démocraties, bien qu’elles aient à lutter d’ordinaire à leurs débuts contre des royautés prétendues légitimes, ont aussi besoin d’une sorte de légitimité, en ce sens qu’il y a quelque chose qu’elles doivent mettre à l’abri du temps, des fluctuations des volontés humaines, sous peine de se laisser entraîner à l’anarchie. Personne ne veut bâtir sur le sable.

Cette première impression n’est pourtant pas suffisante : ce sont des preuves palpables, évidentes, que le nord a besoin d’opposer aux avocats du principe de sécession. Ces preuves ont été exposées avec autant de force que de clarté dans une lettre adressée au