a une rencontre, une fusion incessante de l’utile avec le juste. » Tout cela ne me rassure pas sur la politique qui peut naître de ce principe, quand je vois Hobbes, un esprit fameux pour sa droiture et sa rigueur logique, dont on n’a jamais que je sache critiqué les déductions, tirer de l’utile le pouvoir absolu d’un seul. Supposé qu’on en tirât aussi bien le règne du nombre, l’alternative est médiocre, si le pouvoir absolu persiste. Il y a-cela de certain, que la justice est absente de ces solutions. Au fait, comment y serait-elle, quand il n’y en a pas le premier mot dans leurs élémens, ni dans la sensation, ni dans les idées d’origine sensible, ni dans l’impulsion qui sort de ces idées ?
Vous allez me dire que les mœurs sont là, dont le propre est de borner les principes dans l’excès de leur développement rectiligne et de faire entendre raison à la logique. — Peut-être ; mais en tout cas j’ai une bien autre objection contre le principe de l’utile, une objection prise justement de ce qu’en certaines occurrences il choque les mœurs elles-mêmes, le sens national, l’histoire. Il nous semble que fonder la loi politique de certaines sociétés sur le principe des intérêts, c’est mettre en oubli celui qui se montre à leur formation, et qu’on leur donne là pour vivre un autre élément que celui dont elles sont nées. En général, les nations ne se forment et ne prennent de cohésion que par les idées morales, un fondant qui groupe, qui cimente les individus : quant aux intérêts, ils auraient plutôt une puissance d’isolement et de dissolution.
Si l’intérêt était l’âme des nations, si chaque intérêt constituait un droit, est-ce qu’on verrait abdiqués et fondus sous la même loi des intérêts naturellement ennemis, comme le nord et le midi, l’élément foncier et l’élément capitaliste, l’intérieur des terres et le littoral,… le spectacle enfin que nous avons en France ? Par cela même que de grands états se composent d’intérêts divergens et antipathiques, ils expriment ou plutôt ils impliquent le sacrifice de ces intérêts à quelque idée, à quelque besoin de l’ordre moral : indépendance, grandeur collective, religion, langue, équité des lois.
Une objection est toute prête : — « ces diversités d’intérêts n’ont pas été consultées sur l’opération qui les a groupées en un seul peuple ; c’est la force qui a tout fait, et cette violence ne prouve rien. » — Mais depuis quand est-il donné à la force toute seule de faire œuvre qui dure, de prévaloir et de s’établir contre les conditions naturelles, où le vœu des peuples est bien quelque chose ? Avons-nous gardé la Navarre ? L’Espagne a-t-elle gardé le Roussillon ? M. Augustin Thierry nous apprend que la Guyenne trouvait son compte à la domination des Anglais, à ces vaisseaux qui venaient chaque année emporter les vins du pays, que cependant elle