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en se réunissant aux fractions dont l’intérêt se rencontre avec la justice.


IV

Ici quelque hésitation est permise. On peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux, dans l’organisation d’une société libre, aller tout d’abord à ce petit nombre, et lui confier le gouvernement au lieu de ce rôle hasardeux d’appoint et de renfort. C’est ainsi qu’étaient conçues et intentionnées les, lois électorales qui fonctionnaient avant 1848 ; mais d’un autre côté que d’objections contre la théorie française, doctrinaire au moins, de la souveraineté de la raison, qui est le fond plus ou moins reconnaissable de ces lois !

Ah ! vous tenez la raison pour souveraine ! mais il lui faut des organes, des interprètes apparemment. Il va sans dire que les meilleurs seront appelés à cet office : c’est de l’aristocratie, mais passons sur le mot ; la chose, prise étymologiquement, est saine et irrécusable. Seulement voici où la difficulté commence : le moyen, s’il vous plaît, de reconnaître les meilleurs ? Les supériorités d’esprit, de naissance, de fortune, sont les unes fort apparentes, les autres visibles jusqu’à un certain point ; mais nous cherchons les supériorités de vertu… Trouvez donc ce qui se cache, fiez-vous donc à ce qui se montre ! Quand les hypocrites sont en peine du meilleur masque, vous pensez, vous, simple législateur, trouver un signalement exact, complet, infaillible !

Convenons d’une chose : le plus solennel des utilitaires pourrait se moquer fort agréablement de notre principe et de nos règles pour le mettre en œuvre. D’ailleurs ces règles ne sont pas plus fantasques que tout autre règlement où il s’agit soit de peser un homme en sa capacité, soit de parquer un droit dans la limite d’un délai. D’où vient que je suis majeur et la proie légitime des usuriers aujourd’hui qu’a sonné ma vingt et unième année, tandis que je ne l’étais pas hier ? Que s’est-il donc passé en moi depuis vingt-quatre heures pour m’élever à cette dignité ? On ne peut s’enrôler avant dix-huit ans révolus, ni tester avant seize ans révolus, ni se marier de son seul aveu avant vingt-cinq ans révolus. Êtes-vous donc sûr que la valeur et le discernement aient attendu cet âge précis, et que leur saison commence à jour fixe ? — Et les délais ! c’est chose indispensable pour en finir avec les droits auxquels il plaît de s’oublier, de sommeiller, et qui éclateraient comme une perturbation le jour où il leur plairait de reparaître. Les délais, dis-je, sont nécessaires ; mais qui pourrait donner une raison nécessaire des limites où l’on se tiendra ? Pourquoi la prescription s’obtient-elle par trente ans plutôt