on rencontre des caravanes de plus d’une centaine de chameaux. Chaque matin on voit ces animaux couvrir les champs des environs de Larnaca. Seuls, attendant leurs maîtres qui vendent leurs denrées dans la ville, accroupis en cercle, insoucians et graves, autour d’une petite provision de paille, ils ont quelque chose de véritablement étrange.
Les bœufs sont rares, car le pays ne produit point d’herbages. D’ailleurs les Orientaux ont peu de goût pour la viande. Cet aliment est trop échauffant dans les contrées brûlantes ; au contraire il est nécessaire dans les pays du Nord, et, par une disposition providentielle, les pâturages abondent dans ces pays. De nombreux troupeaux de moutons et de chèvres suppléent à la rareté des bœufs : souvent ils se contentent de brouter les herbes des régions incultes. Chez certains moutons, la queue prend un développement monstrueux ; on dit que, dans quelques pays de l’Orient, elle devient parfois si pesante que les bergers sont forcés de la soutenir sur un petit char à deux roues attaché au train de derrière : je n’ai jamais vu pratiquer cet étrange procédé.
L’animal le plus utile à Chypre est un des êtres les plus chétifs : le ver à soie pourrait suffire pour faire la richesse de l’île. On sait. que l’industrie des soies s’exerça longtemps dans la Chine sans être connue des Occidentaux ; les lois du Céleste-Empire s’opposaient à la sortie des œufs de vers à soie. En 552, sous le règne de l’empereur Justinien, deux moines passèrent aux frontières une certaine quantité d’œufs cachés dans l’intérieur d’une canne vissée ; ils les apportèrent à Constantinople : de cette époque date en Europe le commencement de la sériciculture. Elle se propagea peu à peu dans le Péloponèse, qui tira du mûrier (morus) son nom de Morée, en Asie-Mineure et surtout à Chypre. L’invasion des Turcs lui porta un coup funeste. Tandis que l’Orient dépérissait, l’Occident voyait grandir, avec sa puissance morale, son industrie et son commerce : la sériciculture reçut l’impulsion générale du XVIIe siècle, et, soutenue par le génie de Colbert, elle devint une des plus belles conquêtes de la France. Bientôt les cultures de mûriers et les éducations de vers à soie ne suffirent plus aux besoins de la fabrication. On tourna ses regards vers l’Orient ; on rechercha les soies de Turquie, et notamment celles de Chypre, qui sont nommées soies de Paphos. La sériciculture était bien tombée dans ces contrées ; cependant elle n’était pas éteinte, grâce à la coutume de porter des chemises de soie. En Chypre, il n’est pour ainsi dire aucune femme qui ne possède une chemisette de soie ; la robe s’ouvre sur la poitrine pour laisser paraître le tissu précieux, et elle s’arrête encore à la hauteur des aisselles pour montrer les manches de soie pendant négligemment