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La chute de l’empire, en mettant fin au prétendu système continental, déterminait dans le monde industriel une sorte de cataclysme. Nos fabriques s’étaient établies et avaient dirigé leurs opérations en vue d’une utopie qui leur promettait l’exploitation exclusive du continent, et tout à coup nos lignes de douane se trouvaient brisées : l’invasion des produits étrangers se pratiquait sans obstacle à la suite de l’invasion militaire. Il eût été presque ridicule de maintenir des droits excessifs sur des marchandises qu’on pouvait introduire sans opposition. Aussi, dès le 28 avril, le comte d’Artois, agissant comme lieutenant-général du royaume, avait supprimé, ou à peu près, les taxes sur les cotons et réduit des quatre cinquièmes au moins celles qui existaient nominalement sur les sucres et les cafés. Qu’on imagine les récriminations désespérées des négocians détenteurs de ces marchandises et condamnés à vendre 3 ou 4 fr. le kilo les articles pour lesquels ils avaient payé 6 ou 8 francs de droits ! Le pouvoir né la veille était assailli de réclamations, assourdi de doléances[1]. Les fabricans de cotonnades demandaient une indemnité de 30 millions de francs, avec l’espoir d’obtenir, à défaut d’argent, une législation favorable à leur industrie. Les raffineurs faisaient valoir que leurs ateliers avaient été désorganisés pendant la période où le sucre était proscrit, et qu’on les avait mis pour longtemps dans l’impossibilité de soutenir la concurrence étrangère. Les personnages intéressés dans l’industrie des fers comme propriétaires de forêts et métallurgistes avaient institué un comité à Paris et exposaient leurs griefs dans un déluge de pétitions et de brochures dont la collection est encore curieuse.

Sans mesurer bien exactement l’importance des problèmes économiques, les hommes d’état du nouveau régime désiraient les mettre à l’étude et se faire un système ; mais ils étaient absorbés par des difficultés plus impérieuses. Les anciens ressorts financiers avaient été brisés et n’étaient pas remplacés. Le gouvernement déchu laissait un arriéré exigible de 759 millions, résultant des anticipations fiscales et des fournitures non soldées. Il eût été impolitique autant qu’injuste de méconnaître ces dettes, contractées au profit des capitalistes les plus influens. Un vote des chambres leur avait laissé le choix entre des titres de rente perpétuelle à un cours très bas ou des obligations remboursables en trois ans, portant 8 pour 100 d’intérêt et garanties par la vente de 300,000 hectares de forêts domaniales ; mais ces forêts provenaient en grande partie de

  1. Le fondateur de la filature mécanique du coton en France, le célèbre Richard Lenoir, qui possédait sept grandes manufactures et employait onze mille ouvriers, fut ruiné radicalement par cette baisse foudroyante, et il est mort dans la misère.