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Mesmer a vendu 400,000 francs, et ce qu’on aurait pu trouver à meilleur marché dans les anciens ouvrages de quelques médecins. Quant aux contemporains adversaires de Mesmer, Bailly particulièrement, ils attribuaient tous les effets du baquet à l’imagination excitée, à l’habitude, à l’ennui de ces malheureux longtemps immobiles devant une tige de fer. Toutefois la catalepsie et l’insensibilité sont rarement dues à ces causes seules, Plus tard, on a inventé le fluide magnétique que l’on croit trouver chez tous les hommes, quoiqu’il puisse être plus facilement accumulé chez quelques-uns et les mettre dans un état particulier. Ce fluide est projeté au dehors par certains gestes, quelquefois même par un simple acte de la volonté. Tout objet est bon à le transmettre et à le garder. On a magnétisé des chevaux, même des arbres. Dans le parc de M. de Puységur, à Buzancy, était un grand chêne saturé de fluide, et des villageois en saisissaient les branches et se croyaient guéris. Ce fluide n’est pas universel comme celui de Mesmer, et il est propre aux êtres animés ; il est aussi plus matériel et par conséquent plus vraisemblable. Aujourd’hui encore la plupart des magnétiseurs s’en contentent, et l’emploient à tout expliquer. Ils le comparent ou l’assimilent au fluide électrique. La comparaison ne pèche qu’en un point : il n’y a pas de fluide électrique.

Une marque presque infaillible permet de reconnaître qu’une théorie est fausse, qu’un phénomène n’a pas la cause qu’on lui assigne : la grande variété des faits qu’elle explique. Les forces de la nature n’ont qu’un petit nombre d’effets constans, limités, analogues ; elles sont inépuisables et agissent toujours. Au contraire, la variété, l’inconstance, la transformation rapide et imprévue sont les moindres attributs de cet agent du magnétisme. Il prend naissance partout et en toute occasion, et ses effets sont plus divers encore que ses causes. Il existe à Paris, à l’heure qu’il est, plus de somnambules que de jours dans l’année. Toutes sont endormies par des procédés variés, toutes éprouvent des symptômes divers et guérissent des maladies très différentes. Parmi la foule d’objections auxquelles peut donner lieu le fluide magnétique, celle-ci m’a toujours semblé l’une des plus sérieuses.

Par le hasard le plus singulier, Mesmer a passé tout près du phénomène qu’il aurait dû observer cent fois, et qui l’aurait mis sur la voie d’une vraie découverte. Il a fait plus, car il a nié toute sa vie ce qu’il n’avait pas vu, lorsque le plus fervent de ses élèves, le marquis de Puységur, écartant le vain appareil du baquet, des tiges de fer, de la musique, de la terrible et séduisante salle des crises, parvint à produire le somnambulisme véritable par les procédés qui sont encore employés. C’est lui du moins qui paraît avoir le premier étudié avec soin ce sommeil singulier, car l’épidémie était si forte