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ses parens, elle était riche. Gaspard est allé lui faire la cour, et il est parvenu à s’en faire aimer. Il se souciait peu de l’épouser, aimant mieux continuer sa vie malhonnête. La pauvre Agathe est confiante ; il lui a fait signer un papier par lequel ils s’engageaient à s’épouser dans les six mois, avec charge pour celui des deux qui retirerait sa parole de payer cinq cents francs à l’autre. Une fois le papier signé, ce mauvais sujet alla tous les dimanches se griser et se battre à Myon. Effrayée du sort qui l’attendait avec un pareil homme, la pauvre fille retira sa parole et lui envoya les cinq cents francs. Est-ce vrai ? Qu’as-tu à répondre à cela ?

— Mensonge, affreux mensonge ! s’écria Gaspard, qui avait cru pouvoir compter sur la discrétion intéressée de sa victime.

— Garde pour toi le nom de menteur, répliqua le mendiant ; il te convient mieux qu’à moi. Je suis allé trouver Agathe ; elle a commencé par me dire qu’on m’avait trompé. Je lui ai fait remarquer alors qu’il s’agissait de sauver des pièges de Gaspard une aimable et excellente jeune fille. Agathe a bon cœur ; elle s’est mise à pleurer, et elle est allée chercher dans son armoire le reçu des cinq cents francs. Tu as dit tout à l’heure que je mentais : connais-tu cette signature ?

Gaspard eut un nouveau moment de confusion ; mais il se remit bientôt. — Que signifie tout ceci ? dit-il avec une assurance effrontée. Est-ce un complot contre moi ? Il faudrait le dire. Est-ce ma faute si Agathe s’est mise à m’aimer ? Je ne lui ai fait aucune avance : c’est elle qui a rêvé un mariage entre elle et moi, et c’est elle qui, pour mieux me lier, a imaginé ce dédit de cinq cents francs. Elle pensait que je ne pourrais jamais payer une pareille somme. Je ne suis pas riche ; je gagne ma vie en travaillant. Plus tard elle a changé d’avis, et elle a payé les cinq cents francs ; valait-il mieux qu’elle ne les payât pas ? Est-ce que ce vieux dépenaillé a quelque chose à voir dans tout cela ? Il dit que je me suis grisé : je ne m’en souviens nullement ; mais quand même cela me serait arrivé une fois ou deux, y a-t-il là de quoi pendre un homme ? Pour ne rien cacher, j’étais malheureux, et je cherchais à m’étourdir. C’est précisément alors que j’ai vu Cyprienne pour la première fois, et dès ce même jour j’avais juré que je n’en aimerais jamais une autre : mais comment me dédire ? Je n’avais pas le premier sou des cinq cents francs. J’ai bien souffert, vous pouvez me croire. Pourquoi n’ai-je pas connu Cyprienne un an plus tôt ?

Ce système de défense parut ne pas trop déplaire à la jeune villageoise, dont le visage irrité se radoucit sensiblement. Le mendiant s’en aperçut, et il eut recours aussitôt, pour en finir, à un dernier argument qu’il savait irrésistible. — Tais-toi, impudent, dit-il :