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italien, se trouvent enchâssées dans des phrases languissantes et monotones à force de fidélité, si bien que cette traduction, très poétique par détails et souvent très méritoire, donne l’impression que donneraient quelques rares bijoux brillant dans un bric-à-brac de maussades objets de plomb et d’étain. Une autre traduction, celle de Lamennais, curieuse comme témoignage de l’effort d’un grand esprit, n’est pas plus faite pour donner le goût de Dante que celle du Paradis perdu par Chateaubriand n’est faite pour donner le goût de Milton. Cette traduction est écrite dans un système excellent quand on l’applique pour soi seul, dans le silence du cabinet, car il crée une sorte de langue intermédiaire entre la langue du traducteur et la langue du poète, qui permet à l’admirateur studieux et enthousiaste d’entrer en communion plus intime avec l’esprit de son auteur favori, d’en suivre les mouvemens, les ondulations, les saccades, mais il perd la plus grande partie de son mérite lorsqu’on veut en présenter les résultats à des lecteurs indifférens. Alors il arrive très souvent qu’un second traducteur serait nécessaire pour expliquer au public cette traduction trop laborieusement fidèle. Avec Dante, ce danger est plus à craindre encore qu’avec tout autre poète.

Le nom de M. Gustave Doré est déjà populaire, et ses œuvres ne sont plus de simples promesses. Parmi les jeunes artistes des tout à fait nouvelles générations, deux seulement me semblent jusqu’à présent avoir enchaîné la renommée, l’illustrateur de Dante, et ce jeune peintre, M. Breton, qui a su surprendre et reproduire la beauté, la noblesse et la grandeur des attitudes qu’imprime aux créatures humaines ce travail manuel tenu pour maudit par certains théologiens, trop oublieux de la vieille devise monastique : laborare est orare, et réputé vulgaire par les oisifs. Dans cette foule, d’année en année plus compacte, de jeunes aspirans à la gloire des arts, les talens ne manquent pas, comme on a pu s’en convaincre à la dernière exposition ; mais ce sont trop souvent des talens secondaires composés d’habileté d’exécution et de curiosité, plus faits pour frapper le dilettante et l’amateur initiés aux secrets du métier, aux procédés de l’atelier, aux roueries de l’art, que le contemplateur naïf et sérieux qui cherche dans un tableau une peinture plutôt que des secrets de peintre, un résultat plutôt que des moyens. Le grand défaut de la plupart de ces œuvres, où l’habileté de main et la connaissance des procédés de la peinture écrasent le résultat obtenu, est de faire dire à ce spectateur difficile : « Comme cet artiste saurait peindre, s’il avait vraiment quelque chose à peindre ! » La plupart de nos jeunes artistes possèdent, je crois, tout le talent qui peut s’acquérir ; mais ce quelque chose qui ne s’acquiert pas, cette étincelle vitale que le travail le plus obstiné est impuissant à créer, ce