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le paysan de Galicie devait au seigneur de la terre sur laquelle il habitait un nombre de journées, soit de main-d’œuvre, soit de voiture, variable d’un point à l’autre entre un minimum de deux et un maximum de cinq journées par semaine. En outre il était tenu de travailler pour le seigneur dans les momens d’urgence pour un prix de 40 à 60 centimes par jour.

Le chiffre de l’indemnité allouée à la propriété seigneuriale comme compensation de l’abolition des corvées permet d’apprécier à leur juste mesure les effets de l’émancipation sur le coût des travaux agricoles, et par suite sur le prix de revient des produits de la terre. La superficie totale de la propriété imposable était en 1849, dans la province de Galicie, de 9,173,320 hectares. L’indemnité allouée aux propriétaires a été réglée en obligations foncières (grund enlastungs-obligationen) rapportant 5 pour 100 d’intérêt et amortissables en quarante ans. Le montant total, calculé au pair des titres, s’élevait à la somme de 122,555,570 florins, monnaie de convention, représentant par hectare le chiffre de 13 florins 36 kreutzers (au pair du papier, 35 francs 38 centimes) ; mais, comme la grande majorité des propriétaires s’est trouvée dans la nécessité d’aliéner immédiatement au cours du jour, avec une perte de 25 à 30 pour 100 au moins en moyenne, les obligations qu’elle venait de recevoir, il en résulte, en fin de compte, que le propriétaire a reçu par hectare, en compensation de la perte des corvées, une somme de 9 florins environ une fois payée, s’il a aliéné ses titres, ou une rente de 41 kreutzers (1 franc 77 centimes au pair du papier), s’il les a conservés.

La première conséquence de l’émancipation a été une diminution immédiate et très sensible de la quantité de travail. Le paysan corvéable ne travaillait que contraint et forcé. Sans doute l’effet utile de sa journée restait bien loin de celui d’une journée moyenne de travail libre, mais enfin il travaillait et produisait toujours quelque chose. Le paysan libre, dominé à la fois par ses instincts de paresse et par un esprit de rancune contre ses anciens seigneurs, n’a travaillé que pour subvenir à ses propres besoins, extrêmement restreints. Le prix de la journée a immédiatement triplé et quadruplé, et la plupart des grands propriétaires, dans l’impossibilité de satisfaire aux exigences de la main-d’œuvre et même de trouver des travailleurs à tout prix, ont dû réduire dans une forte mesure l’étendue de leurs exploitations.

Il faut s’attendre à voir des faits identiques se produire presque partout en Russie, la production diminuer, le prix de revient augmenter. Plus tard viendra sans doute la période de réaction, qu’amènera surtout l’ouverture des grandes lignes de chemins de fer. Toutefois le transport des blés par les chemins de fer sera en général tout aussi cher, sinon plus cher, qu’il ne l’est avec le système actuellement en usage ; mais l’ouverture des grandes lignes aura pour effet de rendre à l’agriculture des forces très considérables, exclusivement absorbées aujourd’hui par les transports de céréales, et d’autant plus précieuses qu’elles sont plus rares en Russie.