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Les principautés danubiennes, ces autres fournisseurs des marchés de la Mer-Noire, ne peuvent manquer de suivre prochainement l’exemple de leur puissant voisin, et, bien que la position relative du paysan et du grand propriétaire soit, dans les principautés, établie sur de tout autres bases qu’en Russie, bien que la main-d’œuvre gratuite n’intervienne dans la culture que pour une proportion beaucoup plus faible, il est hors de doute que, là aussi, la rupture des liens qui attachent à la grande propriété la population agricole aura sur le prix de revient des céréales une influence analogue. Le prix moyen de la journée, qui en 1855 était en Moldavie de 35 à 40 centimes dans les fermes et de 1 franc dans les villes, est aujourd’hui de 90 centimes dans les fermes et de 1 franc 60 centimes dans les villes. En résumé, on peut donc affirmer sûrement que le jour où la corvée gratuite qui travaille maintenant la terre seigneuriale sera remplacée par une main-d’œuvre soldée, le jour où la grande culture ne sera plus, en toutou en partie, payée par le loyer de la terre donnée à la petite, ce jour-là il est matériellement impossible que le prix de la production n’augmente pas.

Comment donc la Hongrie a-t-elle traversé cette période de transition qui a eu dans la province de Galicie une influence si sensible sur la production agricole ? La position du paysan vis-à-vis du seigneur était, avant 1848, en Hongrie tout autre qu’en Galicie. Dans la Basse-Hongrie surtout, partie la plus fertile, mais ayant une population spécifique très faible, les redevances de main-d’œuvre étaient, en raison de la grande étendue des terres seigneuriales, tellement hors de proportion avec les besoins de la culture, que les propriétaires avaient dû, depuis longtemps déjà, recourir pour leurs exploitations agricoles à la main-d’œuvre soldée ; la plupart d’entre eux avaient, dès cette époque, organisé de nombreuses fermes (moyer höfe) auxquelles étaient attachés un cheptel et un personnel de travailleurs souvent très considérable. Les indemnités reçues lors de l’émancipation eussent été tout à fait insuffisantes pour créer cette organisation, mais elles ont servi utilement à la développer, et les gros bénéfices, résultats de l’exportation des blés pendant plusieurs années, en 1855 et 1856 surtout, non-seulement ont effacé toute trace de cette période d’épreuve, mais encore ont mis la propriété territoriale en Hongrie à même d’étendre ses exploitations le jour où elle aura la certitude d’un débouché permanent.

Au moment où il est déjà permis de craindre que les marchés russes et ceux des principautés danubiennes ne cessent bientôt de fournir à l’Europe occidentale les blés que le commerce a pris l’habitude de leur demander, les obstacles qui ont jusqu’ici empêché les blés de la Hongrie d’arriver économiquement à la Méditerranée vont disparaître, de nouveaux débouchés vont être ouverts à cette contrée, qui, certaine de trouver des acquéreurs, pourra augmenter sa production, et Trieste, alimenté par les marchés de la Theiss, du Banat et de la rive droite du Danube, n’aura pas de peine à prendre dans le commerce général des céréales la place qui doit échapper