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supposons que les voies de communication qui vont être finies en 1862 l’eussent été en 1851 ; voyons à quel prix les fromens de la Hongrie auraient pu, dans les deux années extrêmes de cette période par exemple, arriver sur les marchés de Londres ou de Marseille, et plaçons en regard les prix correspondans d’Angleterre et de France. En 1851, tandis que le prix moyen du blé était à Londres de 16 francs 55 centimes, les fromens de Hongrie et du Banat seraient revenus sur ce marché l’un à 15 fr. 54 c, l’autre à 13 fr. 50 c ; dans cette même année, ils eussent coûté à Marseille l’un 13 fr. 44 c, l’autre 11 fr. 80 c, tandis que le prix moyen du blé dans ce port français a été en 1851 de lk fr. 48 c. — En 1860, le prix moyen du blé à Londres a été de 21 fr. 58 c, à Marseille de 20 fr. 41 c. ; les blés hongrois et du Banat eussent coûté à peu près 1 fr. 50 c. de moins à Londres et 2 fr. de moins à Marseille. Pendant cette période, les prix des blés hongrois auraient sans doute monté beaucoup plus que les prix anglais ou français ne seraient descendus ; mais en fin de compte le mouvement des échanges se serait forcément établi sur une très grande échelle, et il se serait d’autant plus facilement maintenu ensuite que l’augmentation de production en Hongrie, nous croyons l’avoir démontré, ne saurait en aucune façon impliquer un accroissement du prix de revient. Ce qui aurait été possible dans le passé, pourquoi ne le serait-il pas dans l’avenir, alors que rien ne doit venir modifier les élémens constitutifs de la comparaison ?

Ce n’est pas seulement par Trieste et la voie de mer que l’exportation des blés de l’Autriche pourra s’effectuer régulièrement. Le nord de l’Italie et la Suisse méridionale sont reliés au réseau des voies de communication de la Hongrie par un chemin de fer continu ; de Pesth ou de Sissek jusqu’au Lac-Majeur, les lignes de la compagnie du sud de l’Autriche présentent un développement d’environ 900 kilomètres, et, avec un tarif de 6 centimes, l’hectolitre de froment acheté 14 francs par exemple à Sissek arriverait huit jours après à 18 francs 50 centimes sur le marché d’Arona. Or il est connu que la Suisse méridionale importe régulièrement des quantités assez considérables de céréales, dont une forte partie lui est livrée par le port de Gênes, qui les reçoit lui-même du bassin de la Mer-Noire ; il nous paraît difficile que les blés russes puissent désormais soutenir, sur les marchés du Lac-Majeur, la concurrence des blés de Hongrie. D’Odessa à Arona, les frais actuels de transport dépassent 6 francs l’hectolitre, et la durée du voyage atteint en moyenne deux mois.

Enfin, si nous portons nos regards vers le second plan de l’avenir, ne pouvons-nous pas croire qu’un jour viendra où les marchés de Hongrie, directement reliés à Marseille par une voie de fer de 1,350 kilomètres, enverront en dix jours leurs excédans sur ce vaste entrepôt avec des frais de transport inférieurs encore à ceux que doivent souvent, lorsque la demande est active, supporter les blés russes expédiés d’Odessa ? Ce sera là du reste une des conséquences, parmi tant d’autres non prévues encore,