Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/509

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empereur a été de ne point refuser la garantie qui lui était demandée, et qui n’était rien moins que l’abandon d’une des attributions les plus considérables de son pouvoir. La clarté, l’ordre dans les finances françaises ne pouvaient être rétablis qu’à une condition : il fallait mettre un terme à l’excès, à l’abus des crédits supplémentaires et extraordinaires. Avec ces crédits prodigués comme ils l’étaient, l’équilibre des budgets était une fiction. La France ne savait plus où elle allait en matière de dépenses ; il devenait impossible de les proportionner aux ressources. Le ministre des finances devenait un être passif ; il n’embrassait plus dans une vue d’ensemble les dépenses des divers ministères et les produits du revenu public qui devaient couvrir les besoins des autres départemens ministériels. Chaque année, l’excédant sur les revenus des dépenses, ainsi grossies à l’improviste par les crédits extraordinaires, laissait des déficit qui augmentaient par centaines de millions les découverts du trésor. La dette flottante prenait des proportions d’autant plus inquiétantes que personne ne pouvait fixer ou discerner la limite où elle s’arrêterait. On courait ainsi aveuglément à une nécessité des plus tristes, la nécessité de faire des emprunts en temps de paix. Ce laisser-aller avait au point de vue politique des conséquences non moins choquantes. La constitution réserve au corps législatif le droit de voter l’impôt ; mais ce droit, M. Fould le dit clairement dans son rapport, devenait presque illusoire. Ne voyait-on pas en effet, au lendemain même de la session, lorsque les députés venaient d’achever à peine le vote du budget, des crédits énormes ouverts par décrets insérés au Bulletin des Lois ? Les votes de ces crédits n’étaient-ils point, à vrai dire, soustraits au contrôle du corps législatif, puisque celui-ci ne devait les sanctionner que dix-huit mois après qu’ils auraient été décrétés et dépensés ?

Les bonnes intentions ne suffisaient point pour prévenir ce dangereux abus. Les bonnes intentions ? On n’en avait pas manqué assurément le jour où fut promulgué le sénatus-consulte qui décidait que le budget des dépenses serait voté par ministère, et que des viremens d’un chapitre à l’autre pourraient être opérés par décrets de l’empereur. On s’était bien promis alors d’échapper, grâce à ces fameux viremens, au péril des crédits supplémentaires et extraordinaires. On avait compté sans la nonchalance et la force de résistance de la bureaucratie. M. Fould raconte dans son rapport comment la routine des bureaux a rendu stérile la faculté des viremens ; la connaissance de la nature humaine suffit pour expliquer comment l’on a continué à glisser avec insouciance sur la pente commode qui permettait de cueillir des crédits énormes entre deux budgets. — Il y a des pouvoirs dont on est si naturellement porté à faire un mauvais usage, que l’on n’est pas suffisamment armé contre les séductions qu’ils nous offrent par la droiture des intentions. Il n’est qu’un moyen dans ce cas d’éviter l’abus, c’est de s’interdire l’usage ; pour ne pas succomber à la tentation, c’est la tentation elle-même qu’il faut supprimer. — Voilà le conseil radical que M. Fould a