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sous les armes, de détenir une personne de sa famille. Un tel édit montre si les griefs des plébéiens étaient fondés par ce qu’il avoue en l’interdisant. Aussitôt les nexi accourent, donnent leurs noms, prêtent le serment, vont, combattre les Volsques et les Sabins avec une ardeur qui partout décide la victoire ; mais, le péril éloigné, les sénateurs ne veulent plus tenir leur promesse. Appius prononce les peines les plus sévères contre les débiteurs insolvables. Ils sont livrés de nouveau et de nouveau enchaînés. Servilius, tiraillé entre son rôle d’ami des plébéiens et les reproches des patriciens, qui presque tous soutenaient Appius, hésite, tergiverse, et, comme il arrive en pareil cas, perd son crédit auprès des plébéiens, tout en mécontentant les patriciens.

On vit bien que l’irritation populaire se portait sur l’un et l’autre consul à l’occasion de la dédicace du temple de Mercure, dont l’existence à cette époque montre que le commerce avait acquis dès lors à Rome un certain développement. Il n’y a presque pas un fait important dans l’histoire de Rome qui ne se traduise pour ainsi dire dans l’histoire d’un monument. Appius et Servilius se disputaient l’honneur de dédier celui-ci. À cet honneur étaient attachés la fonction de veiller à la subsistance publique, le droit de choisir les membres de la corporation des marchands, intérêts plébéiens et latins comme l’étaient les marchands eux-mêmes. Le sénat, pour accorder quelque chose à la multitude, donna aux plébéiens la liberté de prononcer entre les deux consuls. Les plébéiens, qui étaient mécontens de tous deux, ne nommèrent ni l’un ni l’autre, mais décernèrent le privilège disputé à un simple centurion nommé Laetorius, nom plébéien qui reparait dans l’histoire des Gracques. À un homme de cet ordre il convenait d’ailleurs de dédier le temple du dieu du commerce, car le commerce était le partage des plébéiens.

La fermentation continuait. Le Forum était plein de trouble et de bruit ; des assemblées clandestines se formaient sur l’Aventin, toujours mont démocratique, sur l’Esquilin, au pied duquel se trouvait le quartier populaire de la Subura. Quand le consul voulait faire arrêter un homme turbulent dans le Forum, les licteurs étaient repoussés, et les consuls descendaient de leur tribunal[1] pour leur prêter main-forte. L’intérieur même de la curie était menacé. Dans ce bâtiment élevé où montait le tumulte du Forum, les avis étaient partagés. Le Sabin Appius, inflexible et méprisant cette tourbe latine, propose de nommer un dictateur : le sénat s’y résout ; mais, par un sage tempérament, il choisit le frère de Publicola. Les plébéiens

  1. Il faut entendre par ce mot le siège placé sur le Vulcanal, où l’on rendait la justice, car la tribune du Forum, qui ne date que de l’institution du tribunat, n’existait pas encore.