Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consentent à obéir à un Valerius et vont vaincre les AEques, les Sabins et les Volsques. Le dictateur demande que l’on tienne les promesses faites au sujet des nexi. Le sénat s’y refuse. Alors, invoquant le dieu sabin Fidius, le dieu de la bonne foi que l’on violait, il abdique, et, sortant de la curie pour regagner la demeure des Valerius au pied de la Velia, traverse le Forum accompagné par les applaudissemens de la foule qui le remplit. Ce fut à la suite de ce second manque de foi du sénat que les plébéiens prirent le parti de se retirer sur le Mont-Sacré.

Quand, après être sorti par la Porta-Pia et avoir suivi la voie Nomentane jusqu’au bord de l’Anio, on a passé cette petite rivière sur un pont antique que surmonte une tour du moyen âge, on a devant soi une colline allongée que coupe la route de Nomentum. Cette colline, séparée de l’Anio par une prairie, est le Mont-Sacré[1]. Ce nom exprimait l’idée de l’inviolabilité des personnes et, des droits qu’y conquirent les plébéiens. Les lois qui les garantirent s’appelèrent lois sacrées (leges sanctoe). La personne des tribuns qui les représentèrent fut déclarée sacrée (sacrosancta)[2]. Irrités du manque de foi des patriciens, tous les citoyens en état de porter les armes refusèrent de marcher contre les AEques, et s’en allèrent camper sur le Mont-Sacré, au-delà de l’Anio, hors du territoire primitif de Rome. Ce fut une véritable émigration.

Les plébéiens voulaient, je n’en doute pas, faire sur le Mont-Sacré un établissement durable[3]. Selon Denys d’Halicarnasse, ils l’occupèrent quatre mois, à la grande terreur des patriciens, qui voyaient Rome délaissée par ses défenseurs et près de tomber au pouvoir de l’ennemi. De plus, les champs n’étaient point cultivés. Rome perdait ses laboureurs en même temps que ses guerriers. Si les plébléiens ne fussent pas revenus, la ville qu’ils auraient fondée au bord de l’Anio eût été une ville latine, car la plebs était surtout latine. Aussi une tradition empreinte d’un caractère populaire très prononcé rattachait à la sécession du Mont-Sacré une antique divinité du Latium, Anna Perenna, dont elle avait fait une bonne vieille de Boville, près d’Albe, qui allait de grand matin porter tout fu-mans aux réfugiés du Mont-Sacré les gâteaux qu’elle avait pétris.

  1. C’est cette colline tout entière qu’il faut considérer comme le Mont-Sacré, et non pas seulement la partie à droite de la route, celle que l’on indique seule aux voyageurs comme devant porter ce nom. L’émigration était considérable. Denys d’Halicarnasse (VI, 63) parle d’environ quatre mille hommes.
  2. Selon Festus, ce nom avait été donné au Mont-Sacré parce qu’il fut consacré a Jupiter. Comme il y avait beaucoup d’autres lieux consacrés à Jupiter, ce ne put être l’origine du nom que porta le Mont-Sacré.
  3. Denys d’Halicarnasse parle, il est vrai, des femmes et des enfans restés à Rome, mais cela fait partie de la rhétorique qu’il met dans la bouche de Menenius Agrippa.