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Les plébéiens ne consentirent à revenir qu’après avoir obtenu la création de deux tribuns tirés de leur sein et investis du pouvoir de les protéger contre les patriciens. Le traité fut conclu par des fétiaux entre les patriciens et les plébéiens, comme entre deux peuples.

Les tribuns étaient les organes de la plebs, ses représentans, pour ainsi dire son incarnation. Il fallait être plébéien ou se faire plébéien par l’adoption pour être tribun. La porte du tribun devait être toujours ouverte, et il ne pouvait passer un jour entier hors de Rome. Laisser le peuple sans tribun était un crime capital ; là point d’interrègne, comme dans les magistratures patriciennes. Le tribun ne devait pas plus mourir que le roi de l’ancienne France. On nomma d’abord deux tribuns pour les opposer aux deux consuls. Le tribunat dans l’origine n’était pas une véritable magistrature ; les tribuns n’exerçaient aucune autorité, ne commandaient point, ne jugeaient point ; ils ne pouvaient qu’empêcher. Ils n’étaient pas le gouvernement ; ils étaient l’opposition[1]. Aussi les tribuns n’avaient-ils aucun insigne, aucun costume particulier ; à l’origine, ils n’entraient point dans la curie, où ils ne tardèrent pas à être admis ; ils s’asseyaient à la porte sur un tabouret (subsellium), mais la porte devait rester ouverte, car il est dit qu’ils observaient avec grand soin les résultats de la délibération pour s’y opposer dans le Forum, s’il y avait lieu. Leur droit de secours (auxilium) ne s’étendait pas à plus d’un mille de Rome. Tels furent les modestes commencemens du tribunat ; mais il devait grandir avec l’ordre plébéien qu’il représentait, comme lui tout envahir, et se perdre comme lui par l’excès de ses envahissemens.

En même temps que le tribunat fut créée l’édilité, magistrature dont on a méconnu la nature et l’importance primitive. Les édiles, dans lesquels on n’a vu souvent que des officiers de police, étaient, selon leur institution, les auxiliaires des tribuns. Leur personne, fut déclarée sacro-sainte, comme celle des tribuns. à la fin du m, siècle, on voit deux consuls, au sortir de leur charge, accusés, l’un par un tribun, l’autre par un édile. Au vie, un tribun et un édile sont chargés de concert de donner l’ordre d’arrêter Scipion l’Africain. Dans un moment difficile, ils font l’office de consuls. C’est à eux qu’il appartient de s’opposer à l’introduction des religions étrangères. Polybe appelle l’édilité une charge très illustre, avec le temps, leur puissance diminue, éclipsée par l’éclat de la puissance tribunitienne et ravalée à des soins de police urbaine. Déjà au temps de Cicéron un édile n’était pas beaucoup plus qu’un simple citoyen. Les empereurs

  1. Cette opposition se faisait par l’intercession et s’exprimait par le mot veto. Transférer ce droit négatif de l’opposition populaire au chef de l’état, comme on fit dans la révolution, c’était intervertir les rôles des pouvoirs.