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Les tribuns y avaient parlé contre le patricien et contre leur conscience. Enfin l’un d’eux y monta, et, probablement d’accord avec le consul Virginius, le somma de s’expliquer. — « La loi proposée par Cassius, dit-il, se compose de deux parties : une distribution de terre aux alliés et une aux citoyens romains. En repoussant la première, acceptes-tu la seconde ? — Je l’accepte, répondit Virginius. — Eh bien ! reprit le tribun en s’adressant à la multitude, acceptons de notre côté la mesure sur laquelle le consul et nous sommes d’accord, et renvoyons à un autre moment la discussion du point contesté. » Les plébéiens, trompés par cette comédie, demandèrent à grands cris ce que nous appellerions la division, et Cassius fut perdu. La cause des plébéiens ne le fut pas moins. Rentrés dans la curie, les sénateurs convinrent de nommer dix commissaires pris dans leur sein pour décider l’année suivante quelle partie des terres publiques devait être donnée aux plébéiens et quelle partie serait conservée aux patriciens. Il en résulta que les patriciens conservèrent tout.

Cependant le Forum s’agitait encore ; la lutte s’y continuait entre Cassius et les tribuns, qui faisaient contre lui les affaires des patriciens. Ne pouvant rien obtenir d’eux, il cessa de paraître à la tribune, feignit d’être malade et garda la maison. C’était s’avouer vaincu. Le temps du consulat de Cassius expiré, il fut accusé par les deux magistrats chargés de poursuivre les crimes de haute trahison, et qu’on appelait questeurs, c’est-à-dire inquisiteurs du parricide. Les patriciens empruntèrent aux tribuns, qui avaient mis en jugement Coriolan, cette accusation banale d’avoir voulu se faire roi, qu’un parti ou un autre avait constamment en réserve pour celui qu’il voulait perdre, et que le peuple accueillait toujours avec faveur, car ce nom de roi était un épouvantail qui ne manquait jamais son effet.

Spurius Cassius fut condamné à mort. Denys d’Halicarnasse a l’air de penser que ce fut dans le Forum par les tribus assemblées, ce qui est peu vraisemblable, et que, conduit par les deux questeurs du parricide au haut de la roche Tarpéienne, il en fut précipité à la vue de tous. Je crois plutôt Tite-Live, qui parle du jugement des curies patriciennes (judicio populi). Selon une autre version que Tite-Live rapporte aussi, ce ne serait ni dans le Forum ni dans le Comitium que le jugement aurait été prononcé ; ce ne serait point sur le Capitole qu’il aurait été exécuté. Tout se serait passé dans la maison de Cassius ; son père l’aurait jugé, condamné, mis à mort.

Vrai ou faux, un tel récit nous fait connaître l’idée qu’on se formait de ce que fut l’autorité paternelle dans les commencemens de la république. L’un des premiers citoyens, l’homme le plus éminent