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Mamelles, qui, se présentant de profil, ne justifient pas encore, comme les autres pitons leurs voisins, le nom qu’elles ont reçu. Ces noms naïfs nous reportent aux premiers temps de la colonie, temps heureux que les vieux créoles eux-mêmes n’ont connu que par tradition, comme un âge d’or qui ne devait plus revenir.

Jusqu’ici l’île Maurice ne nous a montré que ses pics de basalte ; mais voilà qu’au-delà de la baie du Tamarin se déroulent les plaines verdoyantes de Saint-Pierre avec leurs champs de cannes, dont la brise matinale balance les aigrettes colorées par les rayons du soleil levant. En doublant la Pointe-aux-Sables, devant laquelle se dresse la montagne du Corps-de-Garde, les champs de verdure disparaissent, la baie de la Grande-Rivière découpe un moment le rivage, puis le voyageur étonné entre dans la magnifique rade de Port-Louis. La ville, qu’il cherche vainement, ne se montre pas encore à ses yeux : elle reste coquettement cachée au milieu des arbres de ses jardins, et comme pour la défendre se dressent derrière elle de nouveaux pitons aux formes caractéristiques, le Pouce, le Pitter-Botte, la Montagne-Longue, et à droite la Montagne-des-Signaux, butte élevée d’où l’on annonce les navires.

Si, au lieu de jeter l’ancre devant Port-Louis, nous continuons notre périple autour de l’île, nous passerons devant le Mât-de-Pavillon, jalon fiché en mer, auprès duquel s’arrête le vapeur qui porte le courrier d’Europe, venant par la voie de Suez ; puis la baie du Tombeau s’ouvrira devant nous, et au-delà, au pied du piton de la Découverte, le quartier des Pamplemousses célèbre par son jardin botanique, mais plus connu encore par les tombeaux apocryphes de Paul et de Virginie. La Grande-Baie, le Cap-Malheureux, les îlots du Coin-de-Mire, de l’île Plate et de l’île Ronde, par où les navires arrivant d’Europe ou de l’Inde viennent reconnaître Maurice, forment la pointe septentrionale de l’île. Sur la côte orientale, nous trouvons l’île d’Ambre, et à côté la passe du Saint-Géran, où naufragea le navire de ce nom qui portait l’héroïne du roman de Bernardin. Passant devant la Montagne-Blanche et celle des Créoles, nous arrivons enfin au Grand-Port, où des ruines de forts et de magasins indiquent un ancien établissement de la compagnie française des Indes. En face est le port de Mahébourg, la seconde ville de la colonie, dans une position des plus pittoresques. C’est dans la rade située entre Mahébourg et le Grand-Port qu’eut lieu en 1810 le combat naval où le capitaine de vaisseau Duperré força la flotte anglaise d’amener son pavillon. Nos annales maritimes offrent peu d’exemples d’une victoire aussi longtemps disputée et aussi sanglante. Duperré, blessé à la tête d’un éclat de mitraille, dut résigner le commandement entre les mains du brave capitaine Bouvet.