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De son côté, le commodore anglais, un bras emporté par un biscaïen, un œil détaché de l’orbite, fut trouvé sur la fin de la mêlée gisant au pied de son banc de quart et chantant dans son délire le Rule Britannia. Malheureusement les troupes coloniales ne se montrèrent pas aussi vaillantes que les marins français, et les soldats du général Decaen furent vaincus sur terre par l’armée ennemie, qui était parvenue à débarquer avant le combat naval. La capitulation fut signée le 3 décembre 1810, et l’île remise aux Anglais à des conditions aussi honorables pour les troupes vaincues que pour les habitans.

Le quartier du Grand-Port est l’un des plus fertiles de l’île[1]. Les vastes plantations de cannes, les grandes sucreries s’y succèdent à chaque pas. Viennent ensuite le quartier de la Savane, où se montrent des terres en parfait état de culture, la pointe du Souffleur, où la mer siffle en s’engouffrant dans une grotte, la petite rade de Souillac, où se fait un certain cabotage avec Port-Louis, enfin la baie de Jacoté, où les Anglais opérèrent deux débarquemens audacieux en 1810, De la mer, on n’aperçoit que de vastes savanes, sortes de landes non encore défrichées, couvertes de bois, et l’on arrive ainsi jusqu’à la pointe sud-ouest, où se dresse le Morne, la première terre que nous avons reconnue en mettant le cap sur l’île Maurice.

Entrons maintenant dans l’intérieur du pays, descendons à Port-Louis. Le grand nombre de navires ancrés dans la rade, la jetée si facilement accessible aux minces esquifs des bateliers qui débarquent le voyageur, font tout d’abord songer à la rade inhospitalière de Saint-Denis. Aussi le mouvement est-il plus considérable à Port-Louis que dans la capitale de Bourbon. C’est la douane, encombrée de ballots de marchandises et de lourdes charrettes qui ébranlent le pavé ; c’est le bazar avec sa population serrée de Malabars et de Bengalis émigrés de l’Inde ; ce sont des rues larges et bien ouvertes, où se presse tout le jour la foule des gens affairés qui réservent la sieste créole pour les heures du matin et du soir. Voyez ces magasins que Paris et Londres ne répudieraient pas, parcourez ces promenades que les arbres des tropiques couvrent d’une ombre bienfaisante, admirez ces édifices où l’architecture coloniale et indienne se marie à l’art européen, suivez la foule dans les rues, sur les places, et à la bigarrure des vêtemens reconnaissez une ville de commerce ouverte à toutes les nations. Le Chinois, travailleur et ami du gain, exerce ici sans entraves une profession pour laquelle il semble avoir un penchant décidé, celle d’épicier. L’Indien s’est réservé le bazar,

  1. A l’île Maurice et à La Réunion, l’expression de quartier, adoptée dès les premiers temps de la colonisation, remplace celle de commune ou de canton. L’île Maurice est divisée en dix quartiers.