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mal à l’aise ; il s’aperçoit que sa monture manque de souffle, et son public d’ailleurs paraît peu disposé à le suivre à travers les espaces constellés : il faut alors se mettre au pas, reprendre la route battue, retomber dans l’ornière, plier le paradoxe et l’épigramme au joug de la routine, et le voyage commencé à vol d’oiseau s’achève en pays plat.

Nous ne citerons pas, à l’appui de nos remarques, M. Edmond About, qui n’a jamais eu, que nous sachions, de grandes prétentions à l’originalité fantaisiste : M. About a été assez spirituel pour comprendre son moment et ajuster à nos goûts des récits agréables, d’une morale correcte et d’une malice inoffensive ; mais voilà, par exemple, M. Alfred Assolant et son nouveau roman de Marcomir. M. Assolant est un homme d’esprit, indépendant, libéral et volontiers frondeur, qui a dû ses premiers succès au contraste de sa manière leste et piquante avec l’étrangeté des scènes lointaines qu’il nous racontait. Appliqué à notre société et à nos mœurs contemporaines, ce procédé perd par le trop près cet air d’originalité qu’il avait rapporté de ses voyages, et n’a plus que le choix entre le faux et le commun. C’est un voyageur neuf et amusant à l’heure de son retour et banal six mois après. Les premières pages de Marcomir ont de la verve et de l’imprévu ; elles semblent courir à la conquête du monde ou de la toison d’or, et il se trouve en définitive que le héros, jeune homme candide et primitif, s’éprend sottement d’une courtisane, laquelle, pour ne pas être en reste, renouvelle à son profit ou à ses dépens la sempiternelle légende de la pécheresse régénérée, purifiée et martyrisée par son amour. Était-ce la peine de mettre en branle tous les grelots de la fantaisie, de faire claquer tous les fouets de la satire, pour aboutir à cette vieillerie ? Ce que nous disons de M. Alfred Assolant et de Marcomir pourrait se dire et plus sévèrement encore de M. Jules Noriac, très embarrassé aujourd’hui, nous en sommes sûr, des succès extravagans que la petite presse s’est amusée à faire à ses petites histoires. M. Jules Noriac n’a prétendu à rien moins qu’à nous donner le bilan de la bêtise humaine. Le cadre est vaste, et quiconque réussirait à le remplir aurait assurément bien mérité des gens d’esprit. Pour être juste, il faut avouer que le premier volume, Eusèbe Martin, s’annonçait assez bien : des traits d’observation, d’heureuses saillies, un récit animé où l’imitation voltairienne se laisse deviner sans se faire trop sentir, nous n’en demandions pas davantage ; mais le terrain où s’alimente l’imagination de ces jeunes conteurs a été si souvent retourné et il est foncièrement si stérile, le cercle où ils se meuvent est si restreint, si spécial, tellement placé en dehors de la vraie société, du vrai monde, du grand art, des véritables sujets d’étude morale et d’observation