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les chemins de fer déjà décrétés. Une excursion que tout voyageur doit faire est aussi celle des Pamplemousses, en poussant jusqu’à la belle sucrerie de La Bourdonnais. On sort de Maurice par le côté opposé à celui qui mène à Mahébourg, et nous engageons les touristes à prendre comme nous le chemin des écoliers. Pour cela, il faut se détourner un moment de sa route et aller visiter l’asile des orphelins. Nous y avons rencontré un révérend anglais, qui enseigne à de pauvres enfans malabars, bengalis, cafres et malgaches les élémens de la lecture et de l’écriture. Le brave homme, en maître d’école accompli, dirigeait lui-même l’éducation de ses jeunes élèves avec le secours d’un seul adjoint. Lorsque nous entrâmes dans la salle, tous les enfans se levèrent, et un good morning, sir, retentissant sortit de cinquante bouches à la fois. Au mur étaient appendus des cartes de géographie, des tableaux d’arithmétique. Sur le devant de la porte, des élèves moins avancés, les yeux fixés sur un abécédaire gigantesque attaché à la muraille, étaient occupés à épeler les lettres et les syllabes sous la direction du plus âgé ou du plus savant d’entre eux. Ce système d’éducation mutuelle, pratiqué par cette noire jeunesse, nous offrit un attrait de plus. Le maître nous présenta des chaises à mon compagnon et à moi. Nous eûmes beau faire des cérémonies, il fallut s’asseoir comme de véritables inspecteurs d’académie. Alors le professeur, fier de nous montrer les progrès de ses élèves, commença par les faire lire en anglais, puis en langue tamule (dialecte de Madras), enfin en langue bengali (dialecte de Calcutta). Il les appelait au hasard, et pas un enfant n’hésita dans la lecture successive des trois langues. Le maître nous montra ensuite les cahiers de ses élèves ; ils étaient tous immaculés et d’une blancheur irréprochable. L’écriture ferme et nette témoignait assez des soins du professeur et de l’assiduité des disciples, La salle était tenue avec un ordre parfait, et tous les enfans, vêtus d’une chemise blanche à large col et d’un pantalon de couleur, annonçaient une grande propreté sous ce modeste costume. À droite était la section des jeunes Malgaches, et le révérend, leur commandant de se lever, les interrogea à la fois en anglais et dans leur langue, à quoi ils répondirent également. Les jeunes filles occupaient aussi un espace à part dans la même salle ; mais les négresses étaient mêlées aux Indiennes, et plus d’un type attirait l’attention. Un air de naïve candeur se montrait sur le visage basané de ces pauvres créatures, et dans leurs yeux limpides, voilés d’une sorte de tristesse, on semblait lire tous les regrets de l’orphelin. Bientôt le professeur prit son violon, et tous les élèves des deux sexes, guidés par sa voix, chantèrent successivement dans quatre langues différentes. Ces exercices terminés, le maître nous fit visiter les jardins où les enfans