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cultivent chacun un lopin de terre, le bassin de natation où ils viennent se baigner aux heures de repos, les ateliers mécaniques où on leur enseigne la menuiserie, le charronnage, la forge. Nous passâmes également par le dortoir, les cuisines, et enfin nous arrivâmes à l’infirmerie. De pauvres petits Cafres, ramenés à Maurice par un croiseur qui les avait enlevés à un négrier, étaient là grelottant, en proie à la fièvre, étendus dans leur lit. Quelques-uns, assis au soleil, où ils essayaient en vain de se réchauffer, levaient vers nous un regard triste, et semblaient nous redemander le climat plus ardent de leur sol natal : pauvres enfans, qui avaient perdu presque en naissant les trois biens qui nous attachent à ce monde, la liberté, les parens, la patrie ! Enfin, au moment où nous allions prendre congé du révérend, il nous conduisit dans son salon, le home si respecté des Anglais. Là le verre de sherry sacramentel, toujours cher aux enfans d’Albion, nous fut offert en grande cérémonie. Nous fûmes heureux de boire à la santé de ce digne homme, qui, non content d’élever si bien les orphelins qui lui étaient confiés, nous apprit qu’il célébrait encore le service divin pour les prisonniers, et trouvait le temps, le dimanche, d’aller faire un prêche dans une église de Port-Louis.

Nous arrivâmes bientôt jusqu’au village des Pamplemousses, dont nous aperçûmes à peine l’église, cachée au milieu des arbres. Quelques minutes après, notre voiture s’arrêta devant une sorte d’allée débouchant sur la route, et le conducteur nous indiqua du doigt le chemin à suivre pour nous rendre aux tombeaux de Paul et de Virginie. Une notice écrite à la fois en français et en anglais nous enjoignait de ne pas aller plus loin sans demander la permission au maître de céans ; mais l’habitation était déserte, et nous marchions au hasard, lorsqu’un jeune Indien, devinant le but qui nous amenait, nous fit signe de le suivre. Il nous montra de chaque côté d’une petite mare d’eau, entourée de fleurs et de gazon, deux dés en briques rouges, de la forme de ceux qui soutiennent les colonnes et paraissant dater d’une soixantaine d’années. Ces dés sont tapissés d’inscriptions portant le nom des visiteurs et la date de leur passage. Un bouquet touffu de bambous incline sa tête sur chacune de ces constructions étranges, que les créoles se plaisent à regarder comme les tombeaux authentiques de Paul et de Virginie. Il y a mieux : la famille supposée de Mme de La Tour, à laquelle appartenait Virginie, s’est retrouvée un jour à Maurice, et elle revendique hautement l’héroïne de Bernardin. Nous visitâmes ensuite le magnifique jardin des Pamplemousses. Appelé aussi par les créoles de son ancien nom de Jardin du Roi, il date du milieu du xvin6 siècle. Il doit sa fondation au célèbre naturaliste Poivre, le même qui a importé à l’Ile-de-France