Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/727

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Autrichiens. La pensée de cette aventureuse entreprise éclate tout entière dans une proclamation datée de Pesaro, expression survivante d’un mouvement prématuré. « L’heure est venue où doivent s’accomplir les destins de l’Italie, disait cette proclamation ; la Providence vous appelle enfin à être une nation indépendante. Que des Alpes au détroit de Sicile on n’entende qu’un seul cri : l’indépendance de l’Italie !… J’en appelle à vous, braves et malheureux Italiens de Milan, de Bologne, de Turin, de Venise, de Brescia, de Modène, de Reggio et de tant d’autres contrées opprimées… Serrez-vous dans une étroite union, et qu’un gouvernement de votre choix, une représentation véritablement nationale, une constitution digne du siècle et de vous, garantissent votre liberté, votre prospérité intérieure, aussitôt que votre courage aura garanti votre indépendance ! »

Un des acteurs les plus intelligens et les plus hardis dans cette crise de nationalité, dans cette aventure si l’on veut, fut Pellegrino Rossi. Il était jeune encore, il avait à peine vingt-huit ans. Il était né en 1787 à Carrare, où avec quelque chance il pouvait aspirer à redevenir un jour, dans cette Italie bien ordonnée de 1815, le sujet du duc de Modène, si la fortune n’en eût autrement disposé en le jetant dès son adolescence sur de plus vastes théâtres. Une instruction variée et forte, fécondant des germes heureux, avait fait de lui un jeune homme à l’imagination souple, à l’esprit fin et vif, à la raison nette et ferme. Il avait suivi les cours supérieurs à Pise, puis à l’université de Bologne, et c’est là, à Bologne, ville alors française, qu’il s’était fixé, devenant successivement avocat, professeur de jurisprudence dans cette université où il a aujourd’hui un monument, — assez connu déjà pour avoir une clientèle brillante, recherché pour l’éclat de son savoir et de son esprit, et imposant par ce visage aux traits dantesques et amaigris qui lui faisait donner dans le peuple le nom familier de l’avocat pâle, — l’avvocatino pallido. Il avait fait un voyage en Suisse, à Genève, en 1813, et lorsqu’il revenait à Bologne, il se trouvait avec l’Italie tout entière dans une situation étrangement aggravée en peu de temps.

L’empire s’écroulait avec fracas, la domination française, disparaissait de la péninsule, et la domination autrichienne approchait ; les nouveaux maîtres allaient camper à Bologne. Rossi était-il du complot à demi libéral, à demi impérial, qui cherchait alors un levier en Italie ? Il ne l’avouait pas, il niait même toute intelligence avec le roi de Naples ; il n’était pas moins l’un des premiers gagnés à la cause pour laquelle Murat jouait sa couronne et sa vie, et c’était lui qui lançait ces proclamations véhémentes où retentissaient les mots d’indépendance de l’Italie et d’unité nationale. Représentant