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fédéral de 1815, œuvre surannée qui faisait de la Suisse moins une nation qu’un assemblage de petites républiques organisées dans l’immobilité. Tout puissant dans les cantons les plus populeux, les plus éclairés de la Suisse, le libéralisme exalté, le radicalisme, demandait impérieusement, par toutes les voies révolutionnaires, la révision du pacte fédéral, tandis que l’esprit de résistance se retranchait dans les petits cantons pleins d’un attachement superstitieux pour toutes les traditions locales, livrés aux influences aristocratiques et religieuses, et ligués dès ce moment dans une sorte de Sonderbund. La lutte était près d’éclater ; elle eût peut-être éclaté dès lors, si Genève, inspirée par les hommes les plus éminens, ne fût intervenue en médiatrice, et ce fut Rossi qui reçut la mission d’aller représenter à la grande diète de Lucerne cette pensée de conciliation. Rossi, comme Italien, aimait trop peu les traités de 1815 pour les aimer beaucoup comme Suisse, et il avait trop le sentiment de son temps pour n’être pas au fond avec ceux qui demandaient la réforme d’une constitution fédérale merveilleusement combinée pour neutraliser tout progrès, devenue le retranchement de l’esprit de réaction. Rossi proposa et fit adopter le principe de la révision du pacte de 1815 ; il fut l’un des membres, l’autorité prépondérante, en quelque façon même l’interprète naturel de la commission choisie pour cette révision. La question était de démêler d’une main sûre et hardie ce qu’il y avait de juste, de pratique dans les prétentions des deux partis opposés. De là cet essai de transaction qui a gardé dans l’histoire contemporaine de la Suisse le nom de pacte Rossi, traité de paix combiné avec une habileté singulière, malheureusement impuissant, et repoussé de tous les partis parce qu’il était trop libéral pour les uns, trop conservateur pour les autres, mais qui, s’il eût été accepté alors, eût peut-être étouffé dans le germe la guerre du Sonderbund et eût du moins organisé un libéralisme modérateur entre les passions extrêmes qui devaient un jour ensanglanter la Suisse pour la même cause. Rossi eut quelque chagrin de voir son pacte rejeté, et il était d’autant plus porté à sentir cette déception qu’il se trouvait en ce moment atteint dans sa santé et dans sa fortune, travaillant au milieu d’anxiétés cruelles, écrivant un jour à ses amis : « Mes yeux sont malades, ma santé est triste, espérons encore pourtant ; » une autre fois : « La barque fait eau de toutes parts. »

L’œuvre de transaction avait échoué, il est vrai ; le négociateur avait réussi plus que l’œuvre : il avait montré ce qu’il était, ce qu’il pouvait comme politique, ce qu’il avait de fécondité d’expédiens et de vues. C’est alors, vers 1833, que deux hommes élevés au pouvoir par la révolution de juillet, et qui avaient connu ou pressenti