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talent, si bien qu’étranger, catholique, libéral, Rossi était nommé professeur de droit romain à l’académie de Genève, s’imposant par un rare mélange de hardiesse et d’habileté insinuante autant que par l’autorité de la science à l’intolérance religieuse et politique de la petite république. Ce n’était pour Rossi que le premier pas dans cette carrière nouvelle. Il réussit à l’académie de Genève plus encore que dans son premier cours, et en 1820 on lui offrait le droit de cité. Peu après il s’attachait d’un lien plus intime à sa nouvelle patrie ; il se mariait avec une jeune Genevoise de foi protestante, et, gagnant chaque jour dans l’opinion, il était bientôt élu député au conseil de la république. Trois fois de suite ce mandat fut renouvelé. C’est alors que Rossi devenait réellement un homme important à Genève : il était la personnification la plus brillante du parti modéré qui se formait. Avec autant de sagesse que de persistance, il soutenait et popularisait les réformes les plus utiles ; il faisait pénétrer l’esprit libéral dans l’état sans rien heurter, en gagnant au contraire l’affectueuse confiance de ses collègues. C’est dans ces années fécondes, de 1820 à 1830, qu’il multipliait ses leçons et ses travaux sur la jurisprudence, sur l’économie politique, publiant à Paris son Traité de Droit pénal, travaillant activement avec Sismondi, Bellot, Dumont, à un journal scientifique ; mais ce journal, œuvre de quelques libéraux, fut l’objet des remontrances de quelques puissances européennes au vorort, et il dut cesser de paraître avant de devenir un embarras pour la Suisse. Rossi s’était fait dans ces dix années une position réellement exceptionnelle. Sans être matériellement au pouvoir, il était la lumière et le guide de cette petite république. Il réalisait ce phénomène curieux d’un exilé devenant le premier comme orateur, comme jurisconsulte, comme conseil, dans un pays où brillait pourtant à cette époque un groupe d’hommes supérieurs, et sa renommée s’étendait au-delà de Genève. Rossi n’avait rien à envier lorsque la révolution de 1830 arrivait, remuant l’Europe et ouvrant pour cet Italien genevois des perspectives nouvelles.

C’est le privilège de nos révolutions, heureuses ou malheureuses, d’avoir ce caractère d’universalité qui en fait pour tous les peuples une affaire commune. La révolution de 1830, indépendamment de sa signification intérieure, avait ce caractère général et éclatant d’une victoire sur l’esprit de 1815 ; elle devenait naturellement une espérance et un encouragement partout où cet ordre de choses créé à Vienne pesait de tout son poids sur un sentiment national ou sur un instinct de libéralisme, et c’est ainsi qu’elle retentissait en Italie et en Belgique, en Allemagne et en Pologne comme dans la Suisse elle-même, où les partis prenaient pour champ de bataille le pacte