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Rossi, en véritable Italien, connaissait son terrain, et du premier coup il fut un grand diplomate, — il ne fît rien. «… Quant aux choses, disait-il dans une lettre du 8 mai 1845, voici mon plan : je fais tout juste le contraire de ce que tout le monde s’attendait à me voir faire. Tout le monde croyait que j’arriverais, armé de toutes pièces, pour exiger je ne sais combien de concessions et mettre l’épée dans les reins au gouvernement pontifical. Comme il était facile de le penser, on s’était cuirassé pour résister, et les ennemis de la France se réjouissaient dans leurs conciliabules des échecs que nous allions essuyer. Je n’ai rien demandé, je n’ai rien dit, je n’ai rien fait. Je n’ai pas même cherché dans mes entretiens officiels à faire naître l’occasion d’aborder certaines matières. Ce silence, cette inaction apparente a surpris d’abord et troublé ensuite… » Puis, lorsque des interpellations parlementaires contre les jésuites s’élevaient en France, lorsque la réaction d’irréligion semblait en progrès, et qu’on s’en plaignait à Rome, Rossi répondait tranquillement que ce n’était pas pourtant une chose surprenante, qu’il fallait s’y attendre, qu’on ne savait pas ce que c’était que l’opinion, et que c’était à l’église après tout de juger s’il était bon de laisser la religion elle-même compromise pour le jésuitisme, qui n’était qu’une forme sans laquelle le catholicisme avait existé autrefois. Rossi fit si bien qu’en peu de temps des négociations, dont il ne paraissait pas même prendre l’initiative, amenaient le saint-siège à plier devant une nécessité du temps, à sanctionner la dispersion des jésuites français. Rossi mettait au reste, toute son habileté à ménager la dignité du pape, et il avait presque gagné l’affectueuse confiance de Grégoire XVI ; il avait surtout vu s’évanouir bien des préventions ennemies, lorsque le vieux pontife mourut, laissant après lui une situation toute nouvelle, où l’émigré ambassadeur, plus maître de lui et de la position, apparaissait bientôt dans ce double caractère qui souriait à son ambition : celui de représentant de la France auprès de l’Italie, et jusqu’à un certain point de représentant de l’Italie auprès de la France. C’était en 1846, à ce moment où du conclave du 17 juin sortait un nouveau pape dont l’avènement fut une acclamation et un signal de réveil pour la péninsule tout entière.

Je ne sais si rien dans l’histoire ressemble à cette inauguration, à cet exorde merveilleux du pontificat de Pie IX, au contraste émouvant et tragique de ces premiers instans et de tout ce qui a suivi, de tout ce qui continue encore. L’Italie respira et se sentit délivrée d’un poids oppressif. Elle eut instinctivement confiance, et du nom du nouveau pontife elle fit le mot d’ordre de sa résurrection. Il semblait qu’on vît tout à coup se personnifier et marcher l’idée patriotique