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et libérale qui depuis quelques années germait dans les esprits. Ces premiers momens où s’agitaient déjà les destinées de la péninsule, et sous plus d’un rapport les destinées de l’Europe, ressemblent à un rêve, et cependant ils sont une saisissante réalité. Au début, je dirais presque à l’aurore de ce règne, tout reprend vie et animation. Sentiment national renaissant, ardeurs politiques, passions de réformes, tout se mêle, et au-dessus de ce mouvement, qui envahit par degrés tous les états italiens, apparaît la figure d’un pape évidemment simple et bon, d’une nature lente, il est vrai, mais ouverte à tous les instincts généreux, ayant le goût et la crainte de la popularité, doué d’une âme religieuse, sacerdotale, mystique, et paraissant se rendre de bonne grâce aux nécessités d’un temps nouveau, les reconnaissant du moins, — un pape enfin entreprenant par entraînement de cœur et par besoin de plaire, autant que par réflexion, l’œuvre la plus immense que puisse tenter un homme. Laissez passer un peu de temps, ce pape exalté dans une acclamation part pour l’exil et ne rentre à Rome, dans ses états, que pour être gardé par des armées étrangères, pour sentir s’affaisser sous lui un gouvernement qu’il a vainement essayé de réformer, qui s’en va désormais par lambeaux. Quel est donc le secret de cette irrémédiable décadence de la souveraineté temporelle du pontificat, et comment s’est corrompue une situation qui sembla réunir un jour la double garantie de la bonne volonté du prince et de la confiance du peuple ? Une des erreurs les plus singulières de ceux qui s’étonnent des extrémités où se débat aujourd’hui la papauté temporelle, et qui se révoltent contre la force des choses, c’est de ne voir dans les événemens actuels qu’une immense ingratitude populaire, un déchaînement violent et éphémère, une crise accidentelle. Tout est factice à leurs yeux dans ce mouvement. Libertés, réformes, satisfactions patriotiques, la garde civique et le gouvernement constitutionnel lui-même, le pape avait tout accordé et accordait tout, et le pouvoir temporel périt aujourd’hui moins sous le poids de sa propre impuissance que sous le coup d’une révolution improvisée, servie par une connivence de la France. Rien n’était à craindre, le mal est venu de la guerre d’Italie.

Il se peut en effet que la guerre d’Italie ait hâté le dénoûment ; elle n’a fait cependant que mettre à nu une situation qu’elle ne créait pas. Le mal date de bien plus loin, et c’est justement au sein de cette illusion universelle des premiers temps du pontificat de Pie IX qu’ont été irréparablement compromises les questions qui s’agitent aujourd’hui. Depuis, le pouvoir temporel s’est relevé, il a été soutenu, étayé, en réalité il n’a plus vécu d’une vie complète, normale, indépendante, et c’est ici que Rossi est un témoin décisif,