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distinction est donc faite dans le langage comme dans les sentimens. Pour signaler un ecclésiastique qu’on soupçonne d’aimer les abus et de s’appuyer sur l’Autriche, on le qualifie de jésuite. Tous ceux qui échappent à cet anathème sont rangés sans détour dans le parti national. Je laisse à considérer l’impulsion qu’ont donnée à ce parti et aux membres du clergé qui étaient enclins à le seconder l’avènement de Pie IX et la publication toute spontanée de l’amnistie.

« Cela fait, ce me semble, une situation toute nouvelle et digne d’attention. Les faits ont prouvé que le parti réformateur et le parti national tournaient en effet également leurs regards vers le pape. Le premier, plein de confiance et ne doutant nullement de lui, le priait ouvertement de mettre fin aux abus et d’octroyer à ses sujets un gouvernement raisonnable ; le second, en ne se dissimulant pas la gravité de ses projets, lui faisait sentir avec plus de ménagement et de secret combien il lui serait glorieux de se mettre à la tête d’une confédération ou ligue italienne, combien la voix du pontife serait puissante sur les princes et sur les peuples pour l’organiser en Italie et la faire accepter par l’Europe, car je dois ajouter en passant et pour tout dire que la pensée nationale en Italie est revenue aujourd’hui à la forme fédérative. Les unitaires y sont rares, surtout hors du parti que j’ai appelé philosophique et qui n’a pas d’influence. Les fédéralistes, au lieu de songer abstraitement aux avantages d’une unité telle que notre admirable unité française, considèrent une ligue comme la seule forme qui soit compatible avec les conditions de l’Italie, et qui puisse être acceptée sans trop de répugnance par l’Europe[1].

« Dans cette situation, que devait faire le gouvernement de Pie IX ? Deux choses, ce me semble, également nécessaires, et qu’il fallait faire nettement, résolument, promptement :

« 1° Donner dans les états pontificaux satisfaction au parti réformateur, une satisfaction large et loyale, qui en aurait fait sur-le-champ un parti conservateur nombreux, éclairé et dévoué, et nullement enclin à se mêler aux partis aventureux et téméraires qui dans leur ardeur tentent des luttes prématurées et rêvent des victoires impossibles.

« 2° Éclairer et contenir le parti national en lui faisant comprendre que l’impatience pouvait le perdre, et que le seul moyen honnête et efficace de

  1. J’ai sous les yeux l’ébauche de cette dépêche, qui en résume bien d’autres, tracée d’un trait rapide, en phrases brusques et à peine achevées quelquefois, de la main même de Rossi, et il est curieux de voir sur ce point particulier sa pensée dans son premier jet, avant qu’elle n’ait passé par la rédaction officielle : « Je dois ajouter pour tout dire, écrit-il, que la forme que prend maintenant en Italie la pensée nationale me paraît la forme fédérative. C’est sous cette forme qu’elle a été présentée au pape. Certes il n’y a rien là de bien séduisant à mes yeux. J’ai connu la Suisse… et j’adore notre unité française ; mais en fait je crois que les unitaires sont peu nombreux et peu influens en Italie. Peut-être aussi les fédéralistes ont-ils raison en ce sens que leur pensée serait la plus facile à réaliser aujourd’hui et celle que la France et les autres puissances accepteraient avec moins de répugnance… » Celui qui écrit ainsi dans la liberté de sa pensée ne me paraît pas le partisan bien enthousiaste d’une confédération ; il l’accepte comme un fait le plus aisément réalisable, non comme le dernier mot. Au fond, c’est l’unitaire qui perce et reconnaît une nécessité.