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pontificat. Ce qui est certain, c’est que l’amnistie fut sa pensée propre, immédiate, un acte absolument spontané. Le matin même de son exaltation, dans la chapelle de l’élection, lorsque le pape, inondé de larmes, recevait encore les premiers hommages et les premières félicitations, le cardinal Ferretti, son ami de cœur, son confident intime, m’assura qu’on aurait sous peu de jours une amnistie générale, et si elle ne fut publiée qu’un mois plus tard, s’il fallut même prier le pape de ne pas retarder davantage l’accomplissement d’une promesse désormais publique, il faut l’attribuer à cette lenteur qui lui est naturelle en toutes choses.

« Le public ne fut pas lent à juger l’amnistie. Dans ce fait éclatant et spontané, il vit une réponse décisive aux deux questions qu’il se faisait. L’amnistie lui parut à la fois une condamnation formelle du système grégorien et une revendication d’indépendance. Les uns en conclurent qu’ils auraient un pape réformateur ; les autres, plus hardis et devançant le temps, espérèrent un pape activement italien. Au même moment commencèrent pour le pape les difficultés de la situation.

« Que votre excellence me permette d’exprimer toute ma pensée. Le parti national en Italie ne s’est pas seulement étendu, il s’est profondément modifié. En 1815 et même en 1820 et en 1821, il n’était encore qu’un parti qu’on pourrait appeler philosophique, une imitation de 1789, conçue par les classes lettrées et une partie de la noblesse. Il n’était guère national dans le sens propre du mot… Je crois qu’il en est autrement aujourd’hui. À côté de ce parti impuissant qui est surtout représenté par les émigrés, il s’est formé dans le pays un parti national moins impatient, mais actif et irrité, qui, soit conviction, soit calcul, au lieu de fronder l’église, l’honore et en recherche l’appui. Sans doute le haut clergé et le clergé qu’on appelle jésuitique, et qui est assez nombreux, lui est toujours hostile, mais tout le reste des gens d’église se place et tend à se placer dans ses rangs. On se tromperait en croyant que les Ventura, les Lorini, les Mazzani, les Gavazzi et autres ecclésiastiques, qui prêchent ouvertement la liberté et l’italianité considérées dans leur rapport avec le catholicisme, ne sont que des accidens, des excentricités individuelles. Ils sont par leurs doctrines un symptôme et par leurs paroles une révélation, précoce sans doute, exagérée peut-être, mais vraie au fond, du travail qui se fait dans les consciences, au sein et avec l’aide de l’église.

« J’ai voulu voir de mes yeux, entendre de mes oreilles, ce qui se passait à Sant’Andréa della Valle lorsque le père Ventura y a récité une oraison funèbre d’O’Connell, qu’il a dû diviser en deux séances, tellement il avait, avec une grande hardiesse de pensée et d’expression, développé sa double thèse, à savoir que la religion a besoin de liberté pour prospérer et que la liberté grandit et se fortifie par la religion. Quel concours de toutes les classes ! Que leur attention était persévérante et émue ! On ne pouvait surprendre un sourire ni le moindre indice d’ironie sur les figures si mobiles, si expressives de ces hommes d’ailleurs si enclins à la moquerie et à l’épigramme.

« Dans les écrits (il en pleut aujourd’hui) les plus hardis, les plus violens, il n’y a pas un mot contre l’église ; les jésuites seuls sont attaqués. La