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Encore, si les Anglais avaient fourni de légitimes prétextes aux ressentimens des états du nord de l’Amérique, s’ils les avaient fatigués de provocations hostiles, s’ils leur avaient infligé quelqu’une de ces injures devant lesquelles une nation n’a plus à consulter ni ses intérêts ni ses forces, et ne doit obéir qu’à l’impulsion de l’honneur ! Mais cette excuse fait absolument défaut aux susceptibilités et aux passions américaines. Depuis que la guerre civile a éclaté aux États-Unis, l’Angleterre a montré dans sa politique à l’égard de l’Amérique une modération qui doit surprendre ceux qui ne connaissent pas les modifications profondes qui se sont accomplies de nos jours même dans l’esprit anglais. La dislocation des États-Unis était un événement qui n’était pas fait pour déplaire à la politique anglaise : c’était l’affaiblissement d’une nation qui, possédant les qualités les plus vigoureuses de la race anglo-saxonne, ayant toutes les aptitudes commerciales et maritimes de son ancienne métropole, était pour l’Angleterre le plus importun et le plus dangereux des antagonistes ; l’ancienne politique anglaise n’eût pas manqué d’aider à cette dislocation. Les Anglais se sont crus en outre obligés de faire à l’arrogance américaine des concessions qui ont dû coûter beaucoup à leur amour-propre ; la crise des États-Unis leur offrait une occasion de se venger qu’ils n’eussent point autrefois laissé échapper. Enfin la guerre civile portait un coup funeste aux intérêts industriels de l’Angleterre. Le blocus qui enveloppait les états rebelles qui produisent le coton atteignait l’Angleterre dans sa plus féconde industrie et affamait un grand nombre de ses ouvriers. La crise du coton menace l’Angleterre non-seulement d’une crise manufacturière, mais d’une véritable perturbation sociale. Pour échapper à ces souffrances et à ces périls, l’Angleterre avait à sa portée un moyen bien facile et bien séduisant : elle pouvait invoquer la suprême loi du salut public, se hâter de reconnaître les états qui veulent abandonner l’Union, et rendre la liberté des mers au commerce du coton. Il y a cinquante ans, elle n’eût eu aucun scrupule à placer son intérêt au-dessus de la légalité internationale. On doit le reconnaître à l’honneur de l’Angleterre, elle n’a cédé à aucune de ces tentations, ni au désir d’affaiblir un rival, ni au plaisir de satisfaire une rancune, ni à la sollicitation des intérêts matériels les plus impérieux. La presse anglaise a été unanime à recommander la neutralité la plus stricte entre les deux partis qui se combattent aux États-Unis. Des journaux mêmes qui sont plus étroitement liés aux classes commerçantes qu’embarrasse et ruine la crise cotonnière, — le Manchester Guardian, l’Economist — se sont fait surtout remarquer par la fermeté sensée avec laquelle ils ont exhorté les intérêts commerciaux et industriels à subordonner leurs souffrances aux lois d’une politique juste et loyale. Lord Palmerston et le comte Russell, toutes les fois qu’ils ont pris publiquement la parole à propos des affaires des États-Unis, ont exprimé la résolution de ne point faire passer les intérêts matériels de leur pays avant le devoir politique de la neutralité. Il y a quelques jours seulement, un homme d’état que sa naissance place aux premiers rangs du