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parti conservateur, et que son bon sens et sa conscience rendent accessible à toutes les idées de justice et de progrès, le fils du comte de Derby, lord Stanley, exposait à ses électeurs, en des termes qui méritent d’être cités, les sentimens d’impartialité et d’équité qui devaient animer l’Angleterre à l’égard des États-Unis, déchirés et affaiblis par une crise si cruelle. « Quel que soit, disait-il, le jugement que nous portons sur les affaires d’Amérique, écartons l’influence des sentimens de classe ou de jalousie nationale. Quant au devoir du gouvernement, il est évident, et je ne suppose point que l’on s’en départe, quelle que soit l’administration qui soit au pouvoir. Le devoir de notre gouvernement est d’observer une neutralité stricte en paroles et en action, de ne pas montrer d’irritation au sujet des difficultés accidentelles auxquelles on doit s’attendre dans le cours d’une telle lutte, de défendre ceux de nos droits qui seraient attaqués avec modération et fermeté, en laissant aux mauvaises passions le temps de s’évaporer, et surtout de ne pas prendre avantage, même en apparence, de l’affaiblissement temporaire de l’Amérique pour rien tenter qui pût être considéré par cette puissance comme un empiétement sur ses droits. » C’est dans un courant de sentimens si modérés et si honnêtes que le gouvernement des États-Unis vient surprendre et réveiller les hommes d’état et l’opinion de l’Angleterre par une provocation incompréhensible.

De ce qu’il faut renoncer à comprendre le mobile qui a déterminé l’agression du Trent, on ne doit pas se hâter de conclure que cet incident n’aboutira pas aux extrémités qu’on redoute. C’est le propre des situations révolutionnaires de la nature de celle où se trouve l’Amérique du Nord que les gouvernemens n’y sont plus maîtres et des mobiles et des conséquences de leurs actions. Toutes les passions invétérées et caractéristiques d’un peuple s’échauffent alors et s’exaltent à la fois. Or parmi les passions nationales les plus innées à l’âme du peuple américain il faut malheureusement compter la haine de l’Angleterre, et parmi les pratiques de la politique des États-Unis, une des plus caractéristiques est incontestablement l’habitude de l’insolence envers la politique anglaise. Ce qui rend la situation des États-Unis révolutionnaire, c’est que le gouvernement y est aux prises avec des difficultés formidables, que son organisme le rend impropre à embrasser et à combattre avec l’unité de pensée et la certitude d’exécution nécessaires. C’est ce qui explique à la fois la faiblesse et la témérité dont sont alternativement marqués les actes de ce gouvernement, ce qui donne à craindre qu’il ne soit entraîné à des extrémités que les hommes qui le dirigent n’auront ni prévues ni voulues. L’Amérique du Nord, à ce point de vue, est dans une situation qui n’est pas sans analogie avec celle où se trouva la France en 1791 et 1792, lorsqu’elle évoquait avec tant d’étourderie et d’ardeur tous les périls de la politique intérieure et extérieure avant d’avoir organisé des moyens de gouvernement qui fussent à la hauteur de ces périls. Quelque absurde et funeste que nous paraisse un tel calcul, il n’est pas impossible qu’il se trouve parmi les meneurs actuels de l’Union des politicians