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il n’y a plus de sinistres sur cet espace de 29 kilomètres. — L’assurance maritime se payait, pour Rouen, 1/4, 1/2 et 3/4 pour 100 de plus que pour Le Havre ; aujourd’hui les primes sont les mêmes. Le mouvement annuel du port de Rouen comprend six mille navires, jaugeant 600,000 tonneaux, valant 120 millions, et portant 131 millions en marchandises. L’assurance revenait à plus de 450,000 francs qu’on épargne. — Le fret du Havre à Rouen coûtait 12 francs par tonneau ; il ne se paie plus que de 6 à 7, et l’économie s’élève à plus de 2 millions. — Avant l’endiguement, les navires, obligés d’attendre les marées de vive-eau pour passer les traverses, mettaient de dix à douze jours pour remonter la Seine ; aujourd’hui ils vont du Havre à Rouen en douze heures. — En récapitulant toutes les économies dues par le commerce et la navigation a l’endiguement, on arrive à une réduction de frais totale de 3 à 4 millions par an. » — On pourrait se contenter de pareils avantages ; mais la chambre de commerce est plus exigeante.

Les travaux d’endiguement ont laissé subsister sur les eaux contenues entre leurs lignes un ennemi de la navigation. Cet ennemi, c’est le mascaret. De savans ingénieurs en proclamaient naguère l’abolition ; mais un jour, sans que personne eût averti les riverains, il a repris possession de ses anciens domaines avec une violence accrue par le resserrement des entraves qu’on avait prétendu lui imposer. J’ai vu en 1860 les digues de la Seine bouleversées par le choc des marées de l’équinoxe du printemps. Le mascaret avait agrafé en passant les blocs de roches du revêtement, les avait arrachés de leurs places, et déposés comme par fantaisie en lignes inclinées, laissant entre elles des vides où se montraient à nu les alluvions. À basse mer, des kilomètres entiers du rivage ressemblaient de loin, avec les reflets alternativement sombres et blanchâtres du terrain et des roches roulés, à une bande étroite obliquement taillée dans une peau de zèbre. Les digues avaient coulé par places dans les affouillemens creusés sous leurs fondemens, et des échancrures grandes comme des champs étaient taillées dans les alluvions. Il n’en a pas coûté cette fois moins d’un million pour réparer les brèches ouvertes et les désordres commis en quelques heures.

J’avais assisté, dans des circonstances ordinaires, à la formation et à la course du mascaret sur la Dordogne et sur la Seine elle-même ; j’ai tenu à voir à Caudebec celui du dernier équinoxe, et j’avoue n’avoir eu auparavant aucune idée de la puissance et de la majesté de ce phénomène. Je devrais peut-être en calquer la description sur les récits d’observateurs plus clairvoyans que moi : j’aime mieux dire simplement le spectacle que j’ai eu sous les yeux et les impressions que j’en ai rapportées.