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on ne voit dans les rues personne, hormis les voleurs qui flairent les occasions. Du reste, toutes les maisons sont hermétiquement fermées, et l’on tient la lampe éclairée dans les appartemens. Pour manger, on a seulement ce que l’on peut trouver au logis. Il est bon d’avoir des provisions, car aucune boutique n’est ouverte, et toute sortie devient impossible et même périlleuse. À la longue, quelques personnes qui s’ennuient essaient de mettre le nez dehors, vêtues de leurs plus mauvais habits, en cas d’accidens presque certains. Tous les vents du ciel déchaînés soufflent quelquefois pendant plusieurs jours avec une vitesse de 50 mètres par seconde, c’est-à-dire trois fois plus forte que celle d’une locomotive lancée à toute vapeur. Cette violence du vent explique les désastres qu’elle produit ; on comprend que de malheureux navires surpris au large aient disparu au milieu du tourbillon, engloutis dans les profondeurs de la mer, sans laisser aucune trace.

On cite des ouragans terribles, comme celui de 1773, à Maurice, qui déracina tous les arbres et enleva en quelques heures toutes les récoltes sur pied. Port-Louis fut obstrué par les décombres de plus de trois cents maisons, et trente-deux navires, chassant sur leurs ancres et perdant leurs amarres, vinrent échouer sur le rivage ; un grand nombre d’animaux et plusieurs personnes périrent. À La Réunion, on parle encore de l’ouragan de 1806, qui détruisit tous les grands arbres de la colonie : les muscadiers et les girofliers, depuis lors presque entièrement disparus ; les bois noirs qui servaient d’abris aux caféiers, également négligés depuis cette époque. La crainte de tels malheurs a même été l’une des causes de la faveur accordée à la culture de la canne, et c’est après le grand ouragan de 1806 que la précieuse graminée, jusque-là cultivée seulement à Maurice, a été introduite sur une large échelle à Bourbon. Les cannes offrent l’avantage de plier sans se rompre devant la violence de l’ouragan, et jamais la fable du chêne et du roseau n’offrit une plus saisissante application.

Les ouragans ne sont pas les seuls phénomènes météorologiques particuliers à ces contrées ; il en est un autre non moins curieux et resté jusqu’ici inexplicable, celui des ras de marée. Il se produit non-seulement à l’époque des cyclones, mais encore pendant toute l’année, à des intervalles irréguliers. La mer, calme au large, monte tout à coup sur les rives à des hauteurs souvent très grandes, et vient se briser à la côte, écumante, furieuse, avec un fracas inusité. Les galets sont violemment transportés et roulés par les vagues avec un bruit sinistre, imitant le grondement du tonnerre. Ce bruit s’entend au loin, et la nuit on dirait un orage éclatant à la fois des quatre points de l’horizon ; mais le ciel reste calme, et le phénomène n’est