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lieux, c’est le fait d’une influence plus ou moins puissante, mais. toujours exercée par des artistes sans association entre eux sur des groupes d’élèves isolés, comme leurs maîtres, des efforts ou des talens voisins. De là des traditions circonscrites dans les limites d’un atelier ou tout au plus d’une ville, de là ces entreprises en sens contraire qui se poursuivent, on sait d’ailleurs avec quel éclat, non-seulement à Florence et à Rome, à Venise et à Milan, mais jusque dans telle humble cité où le ciel a voulu qu’un maître naquît ou se fixât ; de là enfin cette merveilleuse variété de manières, ces renouvellemens de tendances et de doctrines qui vivifient pendant trois siècles les écoles italiennes, et qui, loin d’en épuiser la fécondité, en développent de plus en plus les ressources. Considérées dans l’ensemble de leurs croyances et de leurs actes, ces écoles, si admirables qu’elles soient, ne représentent pas l’unité, la fixité d’un dogme pittoresque ; elles ne constituent pas une église. Chaque point de foi, il est vrai, y a ses docteurs, et chaque apôtre ses disciples ; mais l’orthodoxie des principes n’est consacrée ni par un consentement unanime, ni par la durée des convictions. Elle varie en raison des exigences locales et des aspirations du moment, ici l’ardent amour de la ligne, là le culte non moins passionné de la couleur ; hier l’étude et l’analyse des vérités intimes, aujourd’hui la dévotion au fait extérieur, aux majestés de la forme, à la puissance absolue du style ; partout et toujours la scission ou la lutte, partout cette noble inquiétude du mieux qui, en agitant l’art italien depuis Giotto jusqu’à Michel-Ange, depuis Jean Bellin et Mantegna jusqu’à Paul Véronèse et Corrége, lui révèle les secrets de la perfection dans tous les genres, suscite des rivalités immortelles, et produit une succession de chefs-d’œuvre sans similitude entre eux, comme sans équivalons au dehors.

Les progrès, les mouvemens, quels qu’ils soient, de l’art en France ont au contraire un caractère collectif. À certains momens, sans doute l’autorité d’un maître s’affirme et prédomine, un seul nom résume les efforts ou les entraînemens de tous. C’est ainsi qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle l’école française semble s’être incarnée dans Lebrun, que Boucher, un siècle plus tard, porte la responsabilité de toutes les fautes commises autour de lui, et que David, en réagissant contre ces excès pittoresques, prend et garde l’ascendant d’un réformateur souverain. Quelque importance personnelle qu’ils dussent acquérir, ces novateurs toutefois obéissaient à des influences extérieures aussi docilement au moins qu’aux suggestions de leur propre fantaisie. Ce n’est pas de propos délibéré que Lebrun donnait à son style ces formes pompeuses, que Boucher enjolivait d’une grâce fardée la mythologie ou la campagne, et que