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David avait fini par réduire la tâche du pinceau presque à l’imitation de la statuaire antique. Fort différens en cela de certains maîtres italiens qui apparaissent brusquement sur la scène de l’art et s’y installent de vive force, sans appel préalable ni connivence de l’opinion, les chefs de notre école puisent leur autorité et leurs droits dans l’attente générale, dans les tentatives déjà faites, dans les besoins intellectuels du milieu et du temps où ils vivent. Lors même qu’elle prétend afficher le plus d’audace, la peinture française exprime visiblement ces arrière-pensées prudentes ; là où elle semble s’affranchir le plus résolument des traditions et des exemples, elle se rattache au passé par des liens étroits, et ne fait que préciser, continuer sous une forme nouvelle ce qui avait été une première fois indiqué ou pressenti. Vien, en parlant de lui-même et de son illustre élève, disait : « J’ai entr’ouvert la porte, David l’a poussée. » Les plus aventureux entre nos peintres ont toujours de ces éclaireurs pour assurer leur marche et leur préparer le chemin. Malgré l’inégalité des talens et la dissemblance des manières, tout, au sein de l’école française, se développe et se succède dans un ordre logique. Les révolutions n’y sont presque jamais l’œuvre de quelques conjurés, le résultat imprévu d’un coup de main ; elles. s’opèrent avec le concours de tout le monde, parce qu’elles ont leur principe et leur raison d’être dans les exigences de l’opinion. En un mot, l’esprit de méthode et de discipline dirigeant jusqu’aux mouvemens les plus capricieux en apparence, une action d’ensemble décidant des progrès qui seraient dus ailleurs à l’action isolée, à la volonté d’un homme, voilà ce que l’histoire de l’art national nous révèle à chaque page, et ce que tant de monumens appartenant aux deux derniers siècles achèvent d’attester.

À quelle cause attribuer ces coutumes régulières, ces ambitions patientes, cette calme hardiesse ? Le tout sans nul doute s’explique d’abord par les aptitudes naturelles de l’école, par ce rare bon sens qui lui vient non-seulement de Poussin, mais d’aïeux plus éloignés encore, et qui, dans le domaine pittoresque aussi bien que dans le champ littéraire, est le génie même de l’art français. Il est juste toutefois de tenir compte, et un compte sérieux, des institutions qui ont régi chez nous les peintres et les sculpteurs jusqu’à la fin du dernier siècle. Le travail de M. Vitet nous fournit sur ce point les plus sûrs enseignemens, comme le livre de M. Rio consacre la gloire et les caractères, très différens à tous égards, des écoles italiennes. Aux conditions anarchiques imposées à celles-ci par le génie indépendant et par les passions personnelles des maîtres, nous essaierons d’opposer la légalité en quelque sorte des talens qui se sont succédé dans notre pays, des efforts poursuivis en commun par les membres